Amandine Spire

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Cette thèse s’interroge sur les interactions entre villes et étrangers, à la lumière du contexte ouest-africain. Elle débute par un constat : les étrangers originaires de l’espace de « libre circulation » de la CEDEAO (Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest) sont nombreux à Lomé et Accra et pourtant peu visibles, en raison notamment de l’absence de quartier ethnique. Malgré leur faible visibilité, certains groupes étrangers originaires de l’espace ouest-africain sont paradoxalement stigmatisés par les populations hôtes en temps de crise.

Lomé, Accra et l’espace de libre circulation de la CEDEAO
(Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest).

L’étude des sociétés urbaines de Lomé et Accra m’a conduit à remettre en cause le paradigme de l’assimilation des migrants à la ville tel que conçu dans la tradition sociologique de Chicago. En m’appuyant sur les théories de l’École de Manchester et en déconstruisant le modèle de l’exode rural, j’ai proposé une approche dialectique et multiscalaire des liens entre étrangers et villes : la ville modifie les identifications des migrants étrangers qui, eux-mêmes, transforment les espaces de la ville et la citadinité, définie comme les manières d’être propres à une ville (en termes de pratiques et de représentations).

Un des apports principaux de ma thèse consiste à souligner la complexité de la notion d’étranger dans les villes d’Afrique de l’Ouest. La diversité des mobilités internationales, par les lieux et les temporalités convoqués, participe à brouiller les visages des étrangers à Lomé et à Accra. Les étrangers n’appartiennent pas à un seul groupe social, pas plus qu’à un seul territoire. Aussi, cette recherche s’interroge-t-elle sur la visibilité des identifications étrangères à la ville, tant aux yeux des citadins qu’à ceux du chercheur.

Les identités étrangères à une ville peuvent être l’objet d’une revendication et d’un processus de reconnaissance qui se traduit par des territorialités à l’échelle d’un quartier comme c’est le cas dans les quartiers zongo. Mais la marginalité de certains groupes étrangers contribue également à la formation de territorialités étrangères, dans le registre invisible. La présence des étrangers s’exprime non seulement en termes identitaires, mais aussi territoriaux. La prise de possession et le contrôle de certains espaces par les étrangers sont au cœur de dynamiques syncrétiques caractérisées par la redéfinition d’appartenances à l’ailleurs dans des interactions locales. Autrement dit, le maintien d’identités étrangères à la ville ne repose pas sur la réplique d’identités qui apparaissent ailleurs ou dans d’autres temps mais semblent bien le produit d’une différenciation et d’une création identitaire dans et de la ville. Il est dès lors possible de dépasser la dimension territoriale des changements de la ville liés à la présence des étrangers : à l’échelle micro, des lieux de sociabilités créés par les étrangers participent pleinement à inventer les liens qui font la ville au quotidien.

Méthode de recherche

La thèse s’appuie sur un matériau empirique collecté au cours d’un terrain d’une durée d’un an, réalisé entre 2007 et 2008. La pratique du terrain mobilise une méthode proche de l’ethnographie, articulant observation et entretiens menés, autant que possible, en anglais ou en français. Dans les deux villes, deux niveaux d’observation ont schématiquement été distingués. D’une part, les espaces publics composés principalement de la rue, des marchés et des gares routières ont été l’objet d’une analyse propre. D’autre part, Les espaces privés ou semi-privés formés par les espaces domestiques (internes et externes) et certains lieux commerciaux, ont été étudiés grâce à une familiarisation grandissante avec le terrain. Les enquêtes ont été réalisées conjointement avec trois grandes catégories d’interlocuteurs : les représentants de la ville (chefs de quartiers, chefs de groupes étrangers, leaders d’association de ressortissants), des citadins se considérant comme étrangers et enfin des citadins non étrangers (afin de saisir la perception et les représentations des migrants). La recherche repose sur la confrontation de terrains considérés aussi pertinents que tout autre pour apporter une contribution à la réflexion sur les liens entre migrants étrangers et dynamiques urbaines en Afrique de l’Ouest. Le choix de mettre en perspective les cas de Lomé et Accra n’a pas pour objectif de démontrer l’analogie entre deux objets d’étude, mais d’enrichir l’étude de l’une des villes par une confrontation avec un second terrain afin de tenter de monter en généralité. La confrontation permet d’accentuer les spécificités ou les processus en œuvre au cas par cas, tout en relativisant les facteurs déterminants.


Fiche informative

Discipline

Géographie

Directeur

M. Philippe Gervais-Lambony

Université

Université Paris-Ouest Nanterre, laboratoire GECKO

Membres du jury de thèse, soutenue le 16 novembre 2009

– Michel Agier, rapporteur, EHESS
– Alain Dubresson, Université Paris Ouest Nanterre
– Philippe Gervais-Lambony, directeur, Université Paris Ouest Nanterre
– Émile Le Bris, directeur de recherches à l’IRD
– Emmanuel Ma Mung, rapporteur, directeur de recherches CNRS
– Gabriel Nyassogbo, Université de Lomé (Togo)

Situation professionnelle actuelle

ATER à l’Université Paris-Sorbonne

Contact de l’auteur

amandinespire@gmail.com

Quelles stratégies d’adaptation ?
Exemples des iles de Wallis et Futuna, Mayotte et Lifou.

Sophie Bantos

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L’adaptation à la montée du niveau marin sur les espaces côtiers est une thématique actuelle majeure sur le plan international. Elle concerne l’ensemble des littoraux de la planète. La France est fortement concernée par ses façades maritimes métropolitaines, mais plus encore par ses territoires ultra-marins insulaires répartis dans tous les océans. La gestion actuelle et future de l’environnement de ces espaces ultra-marins implique la prise en compte des variations à la hausse du niveau marin, notamment du point de vue des représentations que s’en font les personnes qui y vivent. En effet, gérer l’environnement et les risques, c’est aussi gérer des représentations.

L’objectif de cette thèse consiste à déterminer la façon dont les sociétés perçoivent les risques liés à la montée des eaux afin que la gestion du littoral intégrant ces risques soit la plus adaptée possible et que puissent être proposées des stratégies d’adaptation optimale face à cette montée des eaux. Dans ce contexte, la question de l’adaptation à la montée du niveau marin sur les petites îles est abordée sous l’angle de la géographie de l’environnement, démarche équilibrée entre géographie physique et humaine, n’excluant pas la prise en compte d’autres disciplines, telles la géologie, les statistiques appliquées, l’infographie et la sociologie. L’ouverture à des disciplines voisines et complémentaires de la géographie est souhaitable pour enrichir l’analyse du phénomène et la rendre ainsi pertinente et complète.

La démonstration de la thèse commence par une première partie qui traite du contexte thématique, institutionnel et méthodologique de la montée des eaux (chapitre 1), accompagnée d’explications scientifiques sur l’objet d’étude (la montée des eaux) et sur la façon dont cette montée des eaux est susceptible d’aggraver la vulnérabilité existante des paysages littoraux insulaires (chapitre 2).

La seconde partie s’intéresse particulièrement aux aspects sociétaux et territoriaux de l’adaptation. Les acteurs locaux de l’adaptation sont partagés entre leurs traditions ancestrales et la modernité issue de la présence française. Cette dualité a un impact sur la perception de leur espace de vie, leur organisation spatiale et sociétale et leur système foncier (chapitre 3). Dans quelle mesure leurs perceptions des risques dépendent-elles des contextes culturels en présence ? De quelle façon intégrer cette variable culturelle dans la détermination du potentiel d’adaptation de chaque île ? (chapitre 4) Cette partie repose sur l’outil méthodologique enquêtes statistiques. Un échantillonnage de 1646 individus a été interrogé entre les mois de mars 2007 et août 2008, au cours de plusieurs missions de terrain.

La troisième partie s’interroge sur la meilleure façon de préparer l’adaptation à la montée des eaux. Quelles stratégies promouvoir? Faire face en érigeant des défenses ? Prévenir en informant et en sensibilisant les populations ou en les incitant à s’éloigner du bord de mer ? Positiver cette montée des eaux et en profiter pour développer certains secteurs d’activité ? (chapitre 5) Un SIE (Système d’Information Environnemental) a été développé à Wallis & Futuna pour synthétiser de façon optimale la masse de données recueillies sous la forme de couches de données lisibles sur un support cartographique numérique. Enfin, un bilan du potentiel d’adaptation de chaque île est proposé (points positifs et négatifs) et élargi à l’outre-mer français. Quels transferts d’expériences possibles inter-îles dans l’outre-mer français (chapitre 6)?
Pourquoi appliquer la problématique de l’adaptation aux risques liés à la montée du niveau marin aux petites îles ?
Dans l’unité apparente de la France d’outre-mer (principalement du fait de l’appartenance de ces espaces à la France et de leur nature d’île), il existe une forte variabilité qui repose essentiellement sur des contextes culturels différents (créole pour les Antilles et La Réunion, polynésien pour la Polynésie Française et Wallis & Futuna, mélanésien pour la Nouvelle Calédonie et les îles Loyauté, malgache-swahili pour Mayotte) et sur des statuts bien distincts (DROM pour les Antilles, La Réunion et très prochainement à Mayotte – actuel COM -, COM à Wallis & Futuna et POM en Polynésie Française et en Nouvelle Calédonie).

Dans le cadre de ce travail, il a été décidé d’axer la thématique de l’adaptation aux risques liés à la montée du niveau marin sur les îles les plus isolées de l’outre-mer français, interzones géographiques, en quelque sorte « à la périphérie de la périphérie », dont les sociétés sont encore très traditionnelles et partagées entre cette tradition et la modernité représentée par l’Etat français. Mayotte, Wallis & Futuna et Lifou (l’une des îles Loyauté au large de la Nouvelle Calédonie) ont été, jusqu’à présent, assez peu étudiées alors qu’elles constituent des espaces vulnérables à la montée du niveau marin, du fait de leurs caractéristiques physiques, des aléas climatiques et sismiques et surtout de leur isolement. Elles ont fait l’objet de missions de terrain qui se sont étalées des mois de mars 2007 à juillet 2008. La comparaison de ces espaces insulaires n’est pertinente que si elle s’effectue aussi sur la base des différences entre les terrains telles que le contexte culturel dans lequel ils s’inscrivent et qui est susceptible de conférer à ses habitants des perceptions et des représentations des risques de montée des eaux propres.
En résumé, ce travail de thèse a tenté de démontrer que la montée des eaux, qui semble inéluctable à moyen terme, et les risques hydro-climatiques et sismiques (tsunamis) actuels impliquent que les sociétés devront, dans un futur plus ou moins proche, ajuster leur vision des modes d’occupation de l’espace et tout particulièrement celle du domaine littoral sur lequel vit l’essentiel des populations des îles étudiées. Le croisement des différentes approches disciplinaires abordées dans le mémoire a permis de proposer des méthodes et des outils novateurs en vue d’une optimisation des stratégies d’adaptation à la montée des eaux.


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Discipline

Géographie

Directeur

Christian Huetz de Lemps/p>

Université

Université Paris 4-Sorbonne et Université de la Nouvelle Calédonie

Membres du jury de thèse, soutenue le 17 janvier 2011

– Professeur Franck Dolique
– Professeur Richard Laganier
– Maître de conférences-HDR Michel Allenbach
– Professeur Jean-Paul Amat

Situation professionnelle actuelle

Chef de projet sur le labex Dynamite à Paris 1

Contact de l’auteur

sbantos@uni-paris1.fr

Le cas de l’Aire Marine Protégée et Côtière des îles Kuriat en Tunisie

RACHA SALLEMI

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Ma thèse concerne l’étude des mécanismes entrant en jeu dans le processus d’acceptabilité et de concrétisation du premier projet d’Aire Marine Protégée (AMP) en Tunisie par rapport à des usages, dont la pêche principalement, mais également l’aquaculture et le tourisme. Cette AMP concerne à la fois un espace marin et un espace insulaire : les îles Kuriat. Ces dernières sont de petites émergences de terre inoccupées sont situées à environ 20 km du littoral de la ville de Monastir située dans le Sahel tunisien (centre-est). Possédant un statut de protection reconnu à l’échelle méditerranéenne, elles ont fait l’objet d’un plan de gestion car présentant un haut degré de rareté et de vulnérabilité en terme de biodiversité. Les îles Kuriat remplissent ainsi les conditions qui leur permettront d’être éligibles à l’inscription sur la liste des Aires Marines Protégées. S’agissant d’une aire géographique au sein de laquelle les dynamiques humaines sont importantes, j’ai abordé cette problématique à travers le questionnement suivant : en quoi les dynamiques spatiales liées aux usages de la mer au sein de la baie de Monastir peuvent-elles constituer un enjeu dans la perspective de la création d’une AMP aux îles Kuriat ?

Figure 1 : contexte géographique de la baie de Monastir et des îles Kuriat

Par rapport à ma problématique, trois axes de recherche se rapportant à l’ancrage territorial de l’activité de pêche, à la polarisation halieutique des îles Kuriat, ainsi qu’aux politiques publiques en matière de gouvernance environnementale ont guidé ma thèse.

Un territoire construit à travers l’activité de pêche : l’importance des savoirs locaux

L’analyse historique a permis d’établir comment l’activité de pêche a évolué au fil des siècles et comment elle a marqué le sahel tunisien et la baie de Monastir. Depuis l’époque romaine jusqu’à nos jours, les différentes civilisations qui se sont installées dans cette partie de la Tunisie ont relevé le potentiel halieutique existant et ont axé une partie de leur développement économique sur l’exploitation des ressources marines. L’évolution des techniques de pêche et l’élaboration de méthodes de conservation de la production témoignent de l’importance accordée à la ressource halieutique. Ainsi, au fil des époques et des civilisations, les processus d’accumulation à travers le contact avec les pêcheurs étrangers (italiens et maltais) ont permis aux populations marines de faire valoir un savoir-faire technique et des savoirs naturalistes qui représentent les deux éléments composant un patrimoine local halieutique. L’histoire des îles Kuriat en tant que zone de pêche n’est pas exempte de trace historique comme l’attestent les ruines des usines de salaison et d’un ancien port. En outre, la pêche au thon au moyen d’une madrague aux îles Kuriat atteste depuis des siècles qu’il s’agit d’une zone de passage lors de la migration de cette espèce en Méditerranée.

Les îles Kuriat : un « bien commun » au centre de stratégies spatiales ?
L’analyse du système halieutique appréhendée à travers la typologie en général, la statistique exploratoire et la cartographie des trajectoires de pêche en particulier montre qu’il est possible d’associer plusieurs approches pour tenter de saisir les mécanismes d’un système aussi complexe que la pêche artisanale. Dans le cas de la baie de Monastir, la complexité du milieu social des pêcheurs renforce ainsi le choix d’une analyse se rapprochant le plus possible des comportements des pêcheurs et leurs objectifs de production. Au terme de notre construction typologique de la pêche monastirienne, l’analyse du système halieutique local a révélé l’existence de 12 tactiques de pêche démontrant une grande maitrise de la mer. Ces tactiques ont été définies selon des critères relatifs aux engins de pêche, aux espèces ciblées et aux zones de pêche.

Cette maîtrise de l’environnement marin n’est pas chose aisée ; les faits à l’évidence ont révélé qu’il s‘agit d’une transmission des savoirs naturalistes en tant que savoir-faire au sein d’une profession qui tend à se développer par filiation. Ce savoir-faire, associé aux capacités opérationnelles et au potentiel de mobilité nous a permis de déterminer quatre grandes classes ou types de pêche : la pêche migrante noble, la pêche d’effort, la pêche démersale mobile et la pêche sédentaire. Ces quatre grandes classes possèdent chacune une stratégie d’exploitation des ressources halieutique et appréhendent par là même leurs propres conceptions de l’Espace halieutique. Si pour les pêches peu ou moyennement mobiles, l’espace halieutique représente l’espace-hérité, celui des pêches très mobiles marque leur indépendance par rapport aux traditions et par rapport à la baie elle-même. Toutefois, les zones de pêche traditionnelles continuent à jouer un rôle polarisateur très important pour une grande majorité de pêcheurs monastiriens quel que soit le type de pêche exercé. À ce titre, les îles Kuriat jouent plusieurs rôles selon la stratégie adoptée. Elles peuvent servir de zone de pêche principale comme chez les types sédentaires et démersaux mobile. En revanche, elles servent de zones de pêche de réserve ou de secours pour la pêche migrante noble et les incursions illégales de certains chalutiers issus de la classe de la pêche d’effort traduisent des comportements prédateurs avec pour objectifs des gains rapides et sans effort.

Le projet d’AMP face aux logiques des acteurs : la divergence ?
Dans la baie de Monastir, l’analyse des jeux d’acteurs a montré que généralement, tout acteur est un usager potentiel tandis que la réciproque n’est pas forcément vraie. Les trois pôles du système d’acteurs que sont les grands pêcheurs (professionnels et récréatifs), les producteurs aquacoles et les promoteurs touristiques se partagent non sans conflits un territoire sensible et fortement menacé de dégradation, la frange littorale n’étant déjà plus un espace d’enjeux tant sa dégradation est avancée. Les équilibres qui prévalaient pendant longtemps ont été perturbés dans un premier temps par l’implantation des projets d’aquaculture, dont le nombre n’a cessé d’augmenter, pour arriver finalement à « fermer la mer » aux petits pêcheurs cantonnés à une petite bande entre la frange littorale polluée et la barrière des cages d’aquaculture.

Cette situation a contribué à accentuer la pression sur la zone des îles Kuriat comme échappatoire et comme lieu de pêche rentable pour des embarcations faiblement motorisées. Toutefois, la révolution tunisienne est venue perturber les équilibres du pouvoir au niveau de la baie et on assiste à l’émergence des petits pêcheurs locaux, « vierges » de toute connivence avec des élus et des responsables pratiquant du favoritisme. Cela a permis un rééquilibrage et une renégociation des droits d’usage à l’avantage de pêcheurs monastiriens. Dans ce contexte, les îles Kuriat en tant que zones de pêche et de tourisme, commencent à accuser les effets d’une anthropisation en constante évolution. Sa richesse écologique sur terre et sur mer étant reconnue à l’échelle méditerranéenne et nationale, elle constitue dès lors un milieu très convoité. Ce dernier nécessite d’autant plus une protection effective que de la capacité de revendication des usagers s’est vue renforcée après la révolution par rapport à un pouvoir exécutif local affaibli. Ainsi, les pouvoirs publics sont forcés d’abandonner leur posture « sanctuariste » et se réorientent de plus en plus vers l’adoption de concepts tels que la GIZC pour développer des outils plus aptes à être acceptés par des acteurs locaux (syndicat, associations, communes…).


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Discipline

Géographie

Directeur

Marie-Christine Cormier-Salem, Amor-Mokhtar Gammar

Université

Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris / Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis (Co-tutelle)

Membres du jury de thèse, soutenue le 16 décembre 2014

– Gilbert DAVID, Directeur de recherches, IRD (président)
– Louis BRIGAND, Professeur, Université de Bretagne occidentale(rapporteur)
– Jocelyne FERRARIS, Directrice de recherches, IRD, (rapporteur)
– Frédéric BERTRAND, Professeur, Université Paris IV Sorbonne, (examinateur)
– Tarik DAHOU, Chargé de recherches, IRD, (examinateur)
– Marie-Christine CORMIER-SALEM, Directrice de recherches, IRD (directrice)
– Amor-Mokhtar GAMMAR, Professeur, F.L.A.H Manouba (co-directeur de thèse)

Situation professionnelle actuelle

Membre associée à l’UMR 208 PALOC (IRD/MNHN) et enseignante de Géographie à la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba (Tunisie)

Contact de l’auteur

Racha.sallemi@ird.fr

Déplacements forcés et relocalisations contraintes des citadins pauvres

 

JULIE BLOT

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La forte croissance économique que connaît le Cambodge depuis le début des années 2000 et l’intensification des échanges internationaux entraînent des changements majeurs dans la petite capitale de Phnom Penh, ville secondaire à l’échelle Sud-est asiatique. Jouissant d’une certaine stabilité politique depuis la fin des années 1990, Phnom Penh s’est reconstruit et modernisé, et attire aujourd’hui de plus en plus d’investissements, étrangers et nationaux, notamment dans le secteur immobilier. Les autorités cambodgiennes ont à cœur d’attirer les capitaux étrangers et organisent la « mise en vitrine » de l’espace urbain, selon les modèles consacrés de Singapour ou Bangkok. Ce choix de la compétitivité et de la modernisation conduit à multiplier les déguerpissements de citadins pauvres, installés sur des terres au statut foncier peu clair, afin de mettre en concession ou de revendre ces terrains ainsi libérés. Les habitants des bidonvilles sont tout particulièrement victimes de cette politique de nettoyage, qui les chasse du centre-ville et les réinstalle sur des sites de relocalisation lointains, ou fait d’eux des « nomades urbains ».

Ma thèse s’est focalisée sur ces déguerpissements qui touchent les quartiers informels phnompenhois, de l’installation des bidonvilles au déplacement forcé des habitants et la reterritorialisation hors-la-ville d’une partie d’entre eux. C’est le processus de changement brutal et involontaire de lieux de vie qui m’intéressait à travers cette étude. Phnom Penh est dans un moment de transition urbaine qui conduit à une certaine violence symbolique et physique vis-à-vis des citadins les plus pauvres qui apparaissent comme des victimes d’un développement dont ils ne profitent pas. J’ai abordé cette problématique à différentes échelles en me demandant quelles sont les conséquences de ces déguerpissements sur les populations réinstallées. Quel est l’impact de la création ex nihilo de ces « nouveaux villages » sur la périphérie rurale de Phnom Penh ? Et comment les déguerpissements inscrivent-ils dans l’espace et dans le paysage une ségrégation socio-spatiale croissante ? Dit autrement, comment refaire territoire après une déterritorialisation forcée ?

La méthodologie adoptée pour cette étude a eu pour objectif de rendre les discours et perceptions des citadins chassés de la ville ou menacés de l’être mais aussi d’analyser l’évolution spatiale de la périphérie phnompenhoise sous l’effet des réinstallations. J’ai travaillé dans divers bidonvilles du centre et sites de relocalisation de la périphérie suivant un questionnaire semi-directif sur des indicateurs socio-économiques, prolongé par des conversations plus libres sur le passé des bidonvillois ou des déguerpis et sur leurs aspirations d’avenir. Cette thèse se situe donc à la rencontre de plusieurs thématiques de géographie humaine : la pauvreté urbaine et les déplacements forcés. Elle cherche à nourrir le débat de la reinstallation forcée et la question de la justice spatiale, et conduit ainsi à s’interroger sur le « droit à la ville » pour les citadins pauvres.

Déterritorialisation et reterritorialisation des bidonvillois
Le site de relocalisation est un espace singulier, il dénote dans le paysage, il se démarque et ne peut être défini ni comme rural ni comme urbain. Son plan orthogonal aux parcelles régulières le distingue des villages voisins, qui se présente comme un village-rue traditionnel. Mes enquêtes dans ces villages ont montré des reterritorialisations diverses et sélectives. Si certains sites ont disparu purement et simplement, où que seules quelques maisons demeurent au milieu de villages fantômes, la plupart des sites de relocalisation ont perduré, signe qu’ils répondaient à l’attente d’une partie des déguerpis, prêts à accepter cette compensation plutôt que de tout perdre. Dès lors la reterritorlisation est acceptée et se réalise à travers divers type d’appropriation du site (construction du logement, implantation de nouveaux géosymboles, appropriation des espaces collectifs) qui se mue peu à peu en village ou en quartier.

La réinstallation contrainte : une injustice spatiale ?
Cette dialectique s’exprime dans les discours des déplacés et des citadins menacés de déguerpissement. Plusieurs niveaux de lecture peuvent éclairer le déguerpissement : une justification légale (statut foncier, utilité publique) ; un argument d’ordre moral faisant valoir que le déplacement est entrepris au bénéfice des habitants (insalubrité, criminalité, dangerosité) ; et des motifs tus (transaction financière, éloignement des indésirables…). Les registres de l’illégalité et l’immoralité ont tendance à gommer la question de justice. À l’inverse, en recueillant les propos des déguerpis, on constate qu’une injustice spatiale est exprimée, qui n’est pas un état de fait mais le résultat d’un processus. Parler d’injustice et de justice c’est exprimer un sentiment vécu par les populations qui subissent le déplacement. En passant par l’appréhension de l’avant et de l’après-éviction j’ai voulu éclairer ce vécu et le rapport à l’espace qu’il implique, notamment par la comparaison qu’établissent les déplacés « avant, c’était mieux », exprimant une certaine nostalgie mais surtout la dégradation bien réelle des conditions d’existence d’une majeure partie d’entre eux.

Quel droit à la ville pour les citadins pauvres ?
L’observation des lieux de départ avant et après le déguerpissement permet de confronter les discours à la pratique et de constater les effets des politiques d’aménagement. Si au début des années 1990 les évictions servaient surtout à libérer des terrains pour réaménager une ville en mauvais état, avec une valeur croissante du foncier depuis 2000 la plupart des anciens grands bidonvilles ont laissé place à des projets immobiliers privés comme le montre bien l’exemple de Koh Pich, ancien îlot maraîcher transformé en quartier de luxe. C’est en cela que le « droit à la ville », notion éminemment politique, se pose. Quelle ville construit-on ? Une ville débrassée de ses pauvre, d’après les propos d’un enquêtés qui considéraient qu’à Phnom Penh « ils font une ville pour les riches et une ville pour les pauvres ». En effet, le processus de déguerpissement-relocalisation a cela de particulier qu’il ne vise pas seulement à déplacer des populations, mais aussi à favoriser la réimplantation et la stabilisation des populations pauvres en périphérie. Cette intention est clairement ressentie par les déplacée.

Le bilan des déguerpissements laisse entrevoir une évolution dangereuse pour l’avenir de la capitale cambodgienne, dont les autorités continuent de décider ou d’encourager le déplacement progressif des poches de pauvreté vers des zones de plus en plus éloignées et isolées. Ce mode de gestion des quartiers informels est le moins juste socialement et le plus risqué politiquement. La relocalisation apparaît plus comme un moyen de s’accaparer des terres au profit d’une élite économique proche du pouvoir, plutôt que comme une façon de régler le problème des bidonvilles par le haut. Actuellement, cette politique est de moins en moins acceptée, les protestations s’expriment de plus en plus, sous les formes les plus diverses (manifestations, mobilisation des réseaux sociaux, flashmob’…) et dirigées par des leaders charismatiques (tels que Tep Vanny et Yorm Bopha). La lutte anti-éviction rejoint de nombreux mécontentements et les activistes de la lutte anti éviction ont massivement rejoint l’opposition lors des élections de juillet 2013 qui ont été un véritable séisme pour le PPC, parti au pouvoir depuis plus de trente ans. L’instabilité politique dans laquelle est entrée le pays depuis lors donne une nouvelle tribune à ces mouvements.

Carte 1. Relocalisation des bidonvilles dans la périphérie de Phnom Penh


Fiche informative

Discipline

Géographie

Directrice

Pr Olivier Sevin, Université Paris IV-Sorbonne, laboratoire ENeC (UMR 8185)

Université

Université Paris IV-Sorbonne

Membres du jury de thèse, soutenue le 4 décembre 2013

M. Michel ANTELME, Professeur, INALCO (président du jury)
M. Charles GOLDBLUM, Professeur émérite, Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis (rapporteur)
M. Christian BOUQUET, Professeur émérite, Université Bordeaux III
Mme Véronique LASSAILLY-JACOB, Professeur émérite, Université de Poitiers (rapporteur)
M. Olivier SEVIN, Professeur, Université Paris IV-Sorbonne (directeur de thèse)

Situation professionnelle actuelle

Chargée de cours à l’INALCO et post-doctorante à l’IRD

Contact de l’auteur

julie.blot@voila.fr