À LA RECHERCHE D’UN ENTRE-DEUX SPATIAL IDÉAL
Motivations d’installation dans les campagnes françaises
PIERRE PISTRE
IFSTTAR – AME – DEST
Associé à l’UMR Géographie-cités
pierre.pistre@ifsttar.fr
RÉSUMÉ
Ce carnet de terrain propose une réflexion autour de la notion d’entre-deux et de son intérêt dans l’analyse des trajectoires résidentielles à destination des campagnes françaises. Pour ce faire, il s’appuie sur des enquêtes de terrain menées dans trois territoires à dominante rurale du sud de la France (Haute-Provence, Haute-Vienne, Haut-Languedoc), dans le cadre d’une thèse de géographie soutenue fin 2012. Trois principaux types de motivations d’installation sont distingués et exemplifiés. Les deux premiers qui relèvent, d’une part, de la perception des anciens et nouveaux lieux de résidence et, d’autre part, de la pratique des lieux actuels de résidence au cours du cycle de vie, sont présentés succinctement. L’accent est mis sur un troisième ensemble de motivations pour lequel les installations sont guidées par des formes variées de stratégies spatiales : telle ou telle campagne est avant tout choisie pour sa position géographique jugée optimale, et notamment d’entre-deux entre plusieurs entités urbaines ou régionales. Des actifs comme des retraités sont concernés, et la recherche d’un entre-deux spatial idéal à la campagne peut être associée à des considérations professionnelles, familiales voire environnementales et touristiques. Dans tous les cas, sous l’œil des nouveaux arrivants concernés et à travers leurs stratégies résidentielles, les campagnes choisies comme nouveau lieu de résidence se trouvent en quelque sorte revalorisées par la reconnaissance symbolique et pratique de leur situation intermédiaire.
Introduction
La réflexion proposée dans ce carnet de terrain autour de la notion d’entre-deux, et de son utilisation dans l’analyse des campagnes et des territoires français, est tirée d’un travail de thèse de géographie (Pistre, 2012, 2013). Etude nationale, à dominante statistique, des dynamiques démographiques en France rurale depuis les années 1960-1970, cette recherche incluait aussi trois études de territoires : situés à l’ouest des Alpes-de-Haute-Provence, au sud-ouest de la Haute-Vienne et à cheval sur les départements de l’Hérault et du Tarn (figure 1). Ces études de cas ont pris la forme d’explorations statistiques des dynamiques locales et d’enquêtes de terrain, associant observations directes par la pratique des lieux et réalisation d’entretiens semi-directifs.
Figure 1. Trois terrains d’enquête dans la moitié sud de la France
A travers ces trois études de territoires, il s’agissait d’exemplifier différents processus et tendances observés à l’échelle nationale, et d’approfondir l’analyse des formes de renouveau démographique constatées dans les campagnes françaises. La confrontation des discours recueillis, pour chacun des trois terrains et entre cas d’étude, a notamment permis de dégager plusieurs motivations récurrentes, non exhaustives et non exclusives, d’installation des nouveaux arrivants. L’attractivité croissante de nombreux territoires ruraux étant sans conteste le principal facteur explicatif de leurs reprises démographiques, il est d’autant plus important de s’intéresser aux ressorts et comportements individuels qui en sont à l’origine. Dans un premier temps, cet article rend compte de la diversité des motivations observées lors des enquêtes de terrain réalisées en 2011. Il donne ensuite la primauté à un ensemble de démarches résidentielles où les terrains d’étude ont été avant tout choisis pour leur situation intermédiaire, entre entités urbaines ou régionales. A travers les perceptions et les stratégies individuelles de nouveaux résidents, ces territoires de campagne se trouvent en quelque sorte revalorisés par la reconnaissance de leur position optimale d’entre-deux spatial.
Pluralité des motivations d’installation dans les campagnes françaises
Quarante-sept entretiens ont été réalisés lors des trois enquêtes de terrain, auprès de nouveaux arrivants notamment retraités ainsi que d’acteurs et témoins locaux (élus, responsables associatifs, érudits, agents immobiliers, notaires). L’identification de motivations récurrentes émane ainsi à la fois de la présentation directe de démarches individuelles et du regard porté par divers observateurs sur l’évolution des territoires étudiés. En outre, l’objectif n’est pas ici de quantifier avec précision le poids de telle ou telle motivation, mais de donner un aperçu de la diversité des facteurs récents d’installation dans les campagnes à travers l’exemple des trois terrains. Leur choix ne prétend pas d’ailleurs être représentatif de l’ensemble des territoires ruraux français et de leurs dynamiques.
Nombre de démarches résidentielles, familiales ou plus individuelles, ont été en premier lieu motivées par un rejet de la vie urbaine et de ses maux. Le bruit, la promiscuité, l’insécurité ou encore la cherté de la vie sont revenus régulièrement comme autant de facteurs négatifs ayant initié ou renforcé la décision de quitter l’ancien lieu de résidence urbain. En outre, la mise en avant de ces désagréments concorde le plus souvent avec une valorisation inverse de différentes caractéristiques de la vie à la campagne. Par le prisme des territoires étudiés, elle est dite plus tranquille, plus sûre, plus abordable, permettant un accès à de grands espaces. Les spécificités paysagères du lieu, de la région, ainsi qu’un quotidien plus proche de la nature, sont également mis en valeur pour justifier et conforter le choix résidentiel (extrait 1).
Extrait 1 : couple, retraités, installation en résidence principale dans les années 2000, terrain 1
« C’est un pays d’une richesse incroyable en parfums, en paysages, en lumières. […] A toutes les heures, ça change, il y a des tonalités extraordinaires. […] La pierre de ce pays est claire, elle a une texture, et c’est vraiment la pierre qui est adaptée à cette lumière. […] Il y a des reliefs incroyables et ça change à tous les virages. […] On est venu parce que l’on aimait la nature, mais on a découvert que l’on est rentré de plain-pied dans la nature. Par exemple, pour les animaux maintenant on fait partie des meubles ! »
Un autre ensemble de motivations est moins lié aux caractéristiques objectives ou perçues des lieux de résidence antérieurs et actuels, qu’à la pratique des futures campagnes de résidence à différentes étapes du cycle de vie. On retrouve ici des démarches de retour au pays, vers le lieu de vie durant l’enfance ou vers les lieux d’origine des parents ou grands-parents. Ces pratiques résidentielles peuvent intervenir après une période plus ou moins longue de départ, à des âges variés mais notamment à la retraite. Elles peuvent coïncider avec l’aménagement et la rénovation d’une maison de famille, et concerner l’un ou l’autre des conjoints (ou les deux) dans le cas des membres d’un couple. Parmi ces démarches d’installation et au-delà, beaucoup sont également liées à des découvertes et des habitudes pendant les vacances. Le nouveau lieu de résidence a alors été un lieu de passage, de manière plus ou moins régulière, parfois en résidence secondaire, avant de devenir le lieu de résidence principale (extraits 2 et 3).
Extrait 2 : homme, élu, retraité, installation en résidence principale dans les années 2000, terrain 2
« Des X, il y en a dans la commune depuis les années 1800-1820. Ca remonte à mes arrière-grands-parents, puis à mes grands-parents. Mon père, lui, est parti dans les années 1930 pour la région parisienne, mais on revenait tous les ans pour voir la famille, pour les vacances. Il a récupéré la maison de famille à la mort de mes grands-parents, puis ça a été mon tour. J’ai été en retraite en 2004, et j’ai commencé à la rénover pour les vacances. On a fait beaucoup de travaux le premier hiver, et ça ne nous a pas déplu. Le temps passait et on allait de moins en moins à Paris. Donc ça s’est fait (l’installation permanente) assez naturellement. »
Extrait 3 : femme, négociatrice immobilière, terrain 3
« Beaucoup des personnes qui viennent ici sont maintenant à la retraite, mais elles venaient déjà pendant les vacances. Les gens ne venaient pas à la semaine, ils louaient souvent deux mois en famille pour passer les vacances. […] Donc les venues d’aujourd’hui, c’est souvent des connexions par les vacances, et parfois par les origines pour les gens qui ont gardés des biens (immobiliers). Mais c’est plutôt des gens qui ont passé des bons moments ici dans leur jeunesse et qui veulent faire connaître les mêmes à leurs petits-enfants. »
Dans le même registre d’installations initiées par la fréquentation antérieure du nouveau lieu de résidence rural, des coups de cœur hétérogènes peuvent aussi découler de passages plus ou moins répétés pour des motifs professionnels ou de loisirs (extrait 4). Chaque démarche résidentielle a alors ses particularités, mais elles ont en commun d’émaner d’une découverte assez fortuite de l’actuel lieu de résidence.
Extrait 4 : homme, élu, retraité, installation en résidence principale dans les années 1990, terrain 3
« Les coups de cœur, c’est même relativement fréquent. Par exemple, un gars est invité pour un ou deux jours de chasse, d’autres viennent pour les champignons. Ca peut conduire à l’achat de résidences secondaires ou plus. […] Un autre exemple récent, c’est un ferronnier qui est venu un week-end pour faire du bateau avec un ami. Et bien, ça a entrainé son implantation, l’achat d’un terrain, la construction d’un chalet, et même (l’implantation) de son activité. […] Un autre exemple, c’est un gamin de Toulouse qui était venu il y a une vingtaine d’années faire un camp de scout dans le coin. Il a acheté récemment une maison près du pont sans même être revenu depuis. Il a gardé ça en tête : une expérience qui l’a marqué. »
Stratégies spatiales et recherche d’un entre-deux spatial idéal à la campagne
En parallèle de motivations qui reposent principalement sur la perception et la pratique antérieure des lieux, un dernier ensemble de démarches identifiées au cours des enquêtes renvoie à des installations guidées par des formes de stratégie spatiale : telle campagne est avant tout choisie pour sa position géographique jugée optimale. Un exemple connu et répandu concerne la plupart des installations dans les lointaines périphéries urbaines, pour lesquelles la recherche d’un cadre de vie plus agréable, et souvent plus abordable, est conditionnée par l’acceptation de distances quotidiennes accrues pour rejoindre le lieu de travail urbain.
Un autre type de motivation, où une réflexion spatiale est au cœur de la démarche de sélection du nouveau lieu de résidence, est directement lié à la notion d’entre-deux : tel territoire rural est principalement choisi pour sa situation intermédiaire jugée idéale, au regard des espaces de vie quotidiens des individus ou de leurs liens familiaux. Nous mettrons l’accent dans la suite de cet article sur ce type de démarches, assez originales et peu étudiées, en commençant par une présentation succincte des deux territoires d’étude (n°1 et n°2), et de leur situation intermédiaire relative, dans lesquels ont été recueillis des exemples de pratiques résidentielles de ce type.
Deux terrains d’étude en situation d’intermédiarité spatiale
Situé au cœur du sud-est de la France (figure 1), le premier terrain d’étude s’étend de la façade méridionale de la Montagne de Lure, culminant à 1826 mètres, à l’arrière-pays vallonné de Manosque, commune la plus peuplée du département (22 270 habitants au RP 2008) (figure 2). Pour partie intégré au Parc Naturel Régional du Lubéron, il est bordé à l’est par la Durance et par l’A51 qui permet de rejoindre, au sud, Aix-en-Provence puis Marseille, et au nord, Digne-les-Bains ou Sisteron puis Gap. A l’ouest, la D4100 rejoint le Vaucluse et permet de se diriger vers Avignon et la vallée du Rhône. Les deux principales communautés de communes (avec celle du pays de Banon) qui forment ce territoire central de la Haute-Provence sont ainsi assez aisément accessibles, en particulier au sud et à l’est de la zone. En outre, même si six communes de plus de 1 000 habitants, et notamment le petit pôle de Forcalquier (4 645 habitants), composent ce premier terrain d’étude, sa densité moyen est relativement faible (32 habitants par km²). Enfin, les raisons de l’attractivité de ce territoire en croissance accrue depuis les années 1970-1980 sont diversifiées : influence grandissante de Manosque, installation de retraités d’origines géographiques variées, implantation de jeunes actifs investis dans l’agriculture raisonnée etc.
Figure 2. Terrain 1 : territoire de Haute-Provence entre Lubéron et Montagne de Lure
Le deuxième terrain d’étude est situé au centre-ouest de la France, aux confins sud-ouest du département de la Haute-Vienne (HV) (figure 1). Limitrophe de la Dordogne (D) et de la Charente (C), il se trouve à quasi-équidistance (entre 35 et 65 km selon les communes) des agglomérations régionales que sont Angoulême (C), Périgueux (D) et Limoges (HV). Des pôles plus modestes ― comme Saint-Junien (HV) et Rochechouart (HV) au nord, et Nontron (D) au sud ― constituent également des destinations régulières de ses habitants. Ces différentes entités urbaines sont essentiellement accessibles par la N21 et la D675, qui forment les deux axes majeurs traversant le territoire dans un sens nord-sud. De plus, dix communes rurales placées au centre des Monts de Châlus (de 400 à 500 mètres d’altitude) composent la communauté de communes qui fait office de deuxième terrain d’étude : sa densité moyenne est de 25 habitants par km² et seules trois communes dépassent le millier d’habitants. Signalons enfin que la stabilisation démographique (voire la reprise pour certaines communes) de ce territoire intégré au PNR du Périgord-Limousin a été bien plus tardive que pour le premier terrain d’étude. Sa situation reste encore fragile mais les années 1990-2000 ont été marquées par l’installation significative de nouvelles populations, notamment des retraités Britanniques ou venus de la région parisienne.
Figure 3. Terrain 2 : territoire de Haute-Vienne à la limite de la Dordogne et de la Charente
Actifs et retraités, recherches d’un entre-deux rural optimal en Haute-Provence et en Limousin Parmi les entretiens réalisés dans les deux premiers terrains d’enquête, ce type de stratégies résidentielles concerne tout d’abord des couples d’actifs, qui ont associé à leur volonté d’aller vivre à la campagne, le choix de communes rurales situées à mi-distance de deux ou plusieurs pôles urbains (extraits 5 et 6). Il s’agit en particulier des membres de couples qui travaillent dans deux villes distinctes ou qui se rendent régulièrement, pour des motifs professionnels ou autres, dans les deux villes en question. La sélection du lieu de résidence est ainsi guidée par la recherche d’un juste milieu spatial, permettant des gains substantiels en temps et coûts de déplacement.
Extrait 5 : homme, élu, installation en résidence principale dans les années 1990, terrain 1
« Le positionnement de la commune est quand même assez formidable, près de la Durance et de l’A51. Quand j’habitais vers Aix-en-Provence, il me fallait juste 50 minutes pour venir ici (en résidence secondaire à ce moment-là). […] Parmi le conseil municipal, on a quelqu’un qui travaille tous les jours à Aix-en-Provence. Puis, on a des gens qui ont choisi X parce que c’était à mi-chemin entre Aix et Gap. C’est par exemple le cas d’un couple de magistrats qui cherchait à s’installer entre les deux. »
Extrait 6 : homme, secrétaire de mairie, terrain 2
« Le dernier contact que l’on a eu avec un jeune couple qui veut venir s’installer, au moins un des deux fait régulièrement la route avec Limoges et Angoulême. Ils viennent vers nous parce que l’on est au milieu. C’est peut être un nouveau type de clientèle. J’ai par exemple un rendez-vous cet après-midi avec un autre jeune couple dans ce cas. […] Un peu dans la même démarche, on a aussi des retraités qui choisissent le coin parce que c’est à proximité du lieu de vie de plusieurs de leurs enfants. »
A l’instar des situations évoquées en fin d’extrait 6, la recherche d’un entre-deux rural renvoie également souvent aux démarches résidentielles de retraités. Moins contraints par la nécessité de résider à proximité relative du lieu de travail, la recherche d’un nouveau lieu de résidence est alors en particulier liée à celui des enfants (et parfois des parents) (extraits 7 et 8). Selon leur plus ou moins grande proximité, le champ des possibles résidentiels en France métropolitaine est plus ou moins vaste, et le choix d’un juste milieu spatial idéal appelle la prise en compte d’autres critères : immobiliers, paysagers ou encore d’accessibilité.
Extrait 7 : femme, retraitée, installation en résidence principale dans les années 2000, terrain 1
« Je suis de la région, née du côté de Toulon. Au moment de mes études, je suis monté à Paris. […] J’ai passé toute ma carrière à Paris, mais pour la retraite, la volonté était de rentrer dans le sud et de se rapprocher des enfants. J’en ai un sur Aix-en-Provence, l’autre à côté d’Avignon, et puis ma mère est toujours sur Toulon. J’ai cherché pas trop loin d’eux, pas non plus trop près pour ne pas les gêner, et je suis tombé ici un peu par hasard. Donc, je voulais me rapprocher du sud et des enfants. J’étais venue plusieurs fois en vacances dans le coin, mais la commune de X, c’est vraiment le hasard. »
Extrait 8 : couple, retraités, installation en résidence principale dans les années 2000, terrain 2
« On avait un fils à Toulouse et les autres en région parisienne, donc on a cherché à s’établir à peu près au centre. On a cherché autour de la nationale 20, dans pas mal de régions, dans le Cher, en Haute-Loire…, et finalement on a acheté ici. La maison nous plaisait bien, le cadre aussi, mais c’était la première fois que l’on venait dans ce coin. On n’a pas d’attaches et on n’était jamais venu en vacances. C’était réellement la première fois. Donc on cherchait surtout un lieu géographique central entre Paris et Toulouse. Bon, maintenant le fils n’est pas resté à Toulouse mais enfin ! »
Au-delà de considérations familiales, d’autres démarches résidentielles de retraités peuvent être orientées par la position centrale, intrinsèque ou estimée, de certaines campagnes françaises. L’exemple ici mentionné concerne un couple de Britanniques venu s’installer en Limousin au moment de la retraite. Replaçant la région dans sa situation nationale, l’interlocuteur loue ― parmi d’autres aspects plus classiques ― sa localisation centrale et optimale (extrait 9). L’entre-deux rural n’est plus seulement ici un juste milieu résidentiel à l’échelle régionale, entre entités urbaines, mais il représente le cœur du territoire et autant de facilités pour sillonner le pays.
Extrait 9 : homme, retraité, installation en résidence principale dans les années 2000, terrain 2
« Nous avons décidé d’acheter dans le Limousin parce qu’avant notre retraite, nous sommes venus beaucoup en vacances en France avec le camping-car, et pour toutes les visites, on passait par le Limousin, pour aller vers le sud. C’est le centre ici, et puis c’est une belle région. Il y a la beauté du paysage, des bois, des lacs… Donc on a cherché sur internet et on a trouvé quatre possibilités toutes en Haute-Vienne. En décembre 2005, on est venu un mois pour voir, et ici c’était la dernière possibilité que l’on a finalement choisie. »
D’un entre-deux périurbain à la réappréciation de la situation intermédiaire des campagnes
La notion d’entre-deux, mobilisée dans l’étude de la structuration du territoire français à partir du couple urbain-rural, renvoie de manière habituelle aux périphéries urbaines, plus ou moins lointaines, des petites, moyennes et grandes agglomérations. Territoires par excellence de l’intermédiaire, de l’hybride entre ville et campagne (Bonerandi et al., 2003), ces derniers seraient même devenus « tiers espace » (Vanier, 2005), tant ils se sont étendus, développés voire autonomisés au cours des années 2000. En outre, la position médiane octroyée à cet entre-deux périurbain est souvent partie prenante d’une grille de lecture centre-périphérie des territoires, dans laquelle les cœurs urbains ont fonction de leadership, les périphéries sont à la fois complémentaires et dépendantes des centres, et les marges rurales occupent une place résiduelle.
Les exemples de démarches résidentielles présentées dans la deuxième partie de ce carnet de terrain ont en commun de faire de la recherche d’un entre-deux rural, jugé idéal par de nouveaux arrivants actifs ou retraités, un critère partiel et original d’explication de l’attractivité croissante des terrains d’étude. De plus, en complément de motivations plus classiques et dominantes présentées dans la première partie, et au regard de la situation d’intermédiarité relative de nombreux territoires ruraux, il peut être fait l’hypothèse de l’importance non négligeable de ce type de motivations parmi les stratégies résidentielles contemporaines des nouveaux habitants des campagnes françaises. Le développement de modes de travail et de pratiques de loisir éclatés dans le temps et dans l’espace peut par exemple avoir accru l’attrait de certaines campagnes, devenant lieux centraux d’accès à différents territoires urbains, périurbains et ruraux. La dispersion spatiale des sphères familiales peut également avoir élargi le nombre d’installations rurales d’actifs ou de retraités, à proximité plus ou moins directe des lieux de résidence de leurs enfants ou parents. Seules d’autres enquêtes de terrain dans des territoires variés pourront permettre d’affiner la connaissance des motivations d’installation accrue dans les campagnes françaises, et en particulier d’évaluer avec plus de précision la réalité et le poids des recherches d’un entre-deux spatial idéal.
Plus généralement, la mise à jour de ce type de démarches résidentielles amène à s’interroger sur la hiérarchie des territoires, et notamment sa relativité au regard des perceptions et des stratégies individuelles. En effet, l’entre-deux spatial en tant qu’objet d’analyse géographique est-il vraiment où l’on croit le trouver ? Dans le cas présent, sous l’œil de nouveaux arrivants, les campagnes choisies comme nouveau lieu de résidence font bien office d’entre-deux et se trouvent en quelque sorte revalorisées par la reconnaissance symbolique et pratique de leur situation intermédiaire. D’autres actions sociales émergentes et plus éphémères paraissent aussi relever de cette forme de reconnaissance spatiale, amenant tout autant à porter un regard moins marginalisant sur la position de bon nombre de campagnes dans la hiérarchie des territoires français (extrait 10).
Extrait 10 : homme, notaire, terrain 2
« Ici, on est toujours à se plaindre d’être mal desservi, mais j’ai pas mal de gens qui m’ont dit : « Vous êtes au milieu ». Par exemple, récemment on a eu dans le village un mariage alors que personne ne connaissait le pays. Il y avait des Toulousains, des Bordelais, des Parisiens. Moi j’avais l’impression que l’on n’était pas ici sur le bon axe, mais faut croire que pas forcément. »
Bibliographie
BONERANDI E., LANDEL P.A., ROUX E. (2003) « Les espaces intermédiaires, forme hybride : ville en campagne, campagne en ville », Revue de géographie alpine, 2003/2, pp. 67-79. PISTRE P. (2012) Renouveaux des campagnes françaises : évolutions démographiques, dynamiques spatiales et recompositions sociales, Thèse de doctorat de géographie, Université Paris Diderot, 407p.
consulté le 19 mars 2014 : http://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-00764869/
PISTRE P. (2013) « Renouveaux des campagnes françaises : évolutions démographiques, dynamiques spatiales et recompositions sociales », Carnets de géographes (rubrique : carnets de soutenance), n°6.
consulté le 19 mars 2014 : /carnets_soutenances/sout_06_15_ Pistre.php
VANIER M. (2005) « Rural-urbain : qu’est-ce qu’on ne sait pas ? », in Arlaud S., Jean Y., Royoux D. (dir.), Rural-urbain : nouveaux lieux, nouvelles frontières, Rennes, PUR, pp. 25-32.