LES DIMENSIONS TERRITORIALES DES POLITIQUES DU PATRIMOINE URBAIN : INSTRUMENTS, ENJEUX ET JEUX D’ACTEURS DANS TROIS VILLES DU VAL DE LOIRE (ANGERS, TOURS ET ORLÉANS)
MATHIEU GIGOT
L’objectif de cette thèse était d’étudier la mise en œuvre locale des politiques du patrimoine urbain. Ce travail proposait de dépasser une approche juridique des instruments d’action publique pour analyser les dimensions territoriales d’une politique publique et appréhender ses effets sur les centre-ville. Cette recherche a interrogé les relations entre diffusion des politiques patrimoniales et instruments territorialisés et permet de saisir, dans sa complexité, les spécificités locales de la mise en œuvre de politiques patrimoniales.
Si la littérature sur la notion de patrimoine ou sur les dynamiques des centres historiques est abondante et si dans ces travaux les outils de protection sont souvent mobilisés pour attester des volontés politiques locales, il n’existe pas en France d’étude systématique de leur rôle dans la patrimonialisation des espaces urbains. Pour étudier la place des instruments d’action publique dans la construction locale des politiques patrimoniales, trois villes du Val de Loire ont été comparées. Les modalités et les temporalités de mise en œuvre de ces politiques étaient différentes et passaient notamment par des outils différents (un secteur sauvegardé à Tours, une ZPPAUP à Orléans, pas d’outil territorialisé à Angers). Pourtant, il est a priori impossible de savoir quels outils ont été mis en œuvre dans chaque contexte, et à quel moment. Ce constat de départ interrogeait donc la place des instruments d’action publique dans la patrimonialisation des espaces urbains et questionnait les modalités locales de mise en œuvre d’une action publique qui qualifie de patrimoine certains espaces urbains. Il s’agissait de comprendre les choix d’instruments faits dans chacun des contextes et les effets de ces choix alors même que toutes les villes revendiquent des actions de requalification des centres anciens. Même si l’on ne peut écarter de l’analyse l’observation d’une tendance nationale, il semblait que le choix d’un instrument plutôt qu’un autre était révélateur des stratégies locales.
Dans cette recherche, les instruments territorialisés ont été considérés comme une grille de lecture des enjeux des politiques publiques en centre ancien, qu’ils soient politiques, territoriaux, économiques ou sociaux. Cette entrée semblait pertinente pour comprendre les processus de patrimonialisation à l’œuvre dans chacun des contextes étudiés. De plus, les analyses par les instruments d’action publique sont nombreuses, en particulier au sein de la science politique et dans l’analyse des politiques publiques mais elles n’ont pas été utilisées pour traiter de la patrimonialisation des espaces urbains.
Méthodologie
Afin de montrer le rôle des instruments dans la patrimonialisation des espaces urbains, une approche comparée des modalités de l’institutionnalisation locale de l’action patrimoniale a été construite à partir de l’étude de trois villes du Val de Loire (Angers, Tours et Orléans). Relativement proches les uns des autres, ces trois terrains d’étude se révèlent intéressants dans leurs spécificités comme dans leurs ressemblances. Il a d’abord été nécessaire d’aborder l’instrumentation de l’action publique patrimoniale à petite échelle de façon à comprendre comment le système national de protection et de valorisation du patrimoine fonctionnait. L’enjeu était notamment de saisir si ce système avait une application unilatérale ou si l’ajustement des outils mis en place par les acteurs locaux pouvait permettre la création de politiques locales du patrimoine.
Il a ensuite fallu systématiser une méthodologie de recherche pour chaque terrain : travail bibliographique, recherches d’archives et de coupures de presses afin de retracer l’action publique patrimoniale locale, entretiens, etc. Pour synthétiser cette comparaison, des frises chronologiques qui permettent de rendre compte de l’évolution de l’action publique patrimoniale dans chaque cas ont été construites.
Figure 1 : Exemple d’une frise chronologique sur les étapes de l’action publique patrimoniale à Tours
Il ne s’agit pas de dire qu’une ville est en avance ou en retard par rapport à une autre mais bien de comprendre les logiques de l’institutionnalisation locale des politiques du patrimoine urbain.
Principaux résultats
L’approche par les instruments a permis de sortir des cadres d’analyse classiques des politiques publiques en considérant l’action publique dans toute son épaisseur. En effet, les instruments traduisent les modalités d’intervention sur l’espace urbain : la diversité des outils mobilisés dans la construction des politiques patrimoniales constitue des cadres d’action différenciés en fonction des spécificités locales. Paradoxalement, le fait de pouvoir obtenir des résultats similaires avec des instruments différents est un apport intéressant car il remet les acteurs au centre de l’analyse : la représentation des outils et leurs différentes utilisations prouvent qu’ils ne sont pas de simples instruments disponibles « sur étagère » mais constituent bien des dispositifs adaptatifs. Cela confirme l’importance des contextes locaux puisque les processus de patrimonialisation sont contrastés. Ce travail met aussi en évidence la logique de distribution et d’accumulation des outils sur un même espace : les trois villes étudiées ont mobilisé des outils opérationnels d’accompagnement (ravalements de façades, opérations programmées d’amélioration de l’habitat, etc.)
Figure 2 : Synthèse schématique des politiques patrimoniales à Angers, Tours et Orléans
Retracer l’histoire de l’institutionnalisation locale des politiques patrimoniales a également permis d’insister sur le caractère fondamental des temporalités d’action. Ainsi, chaque ville étudiée n’a pas connu les mêmes rythmes dans la mise en place de politiques patrimoniales. Il existe des moments clefs, différenciés dans chaque ville, dans la construction des politiques du patrimoine.
Par ailleurs, ce travail montre que l’on ne peut pas analyser les politiques du patrimoine comme la résultante du choix d’instruments standardisés, étant donné que ces derniers évoluent, se renouvellent ou disparaissent. Il ne s’agissait pas de comparer au même instant les trois villes mais de comprendre dans des temps différents comment a été construite l’action publique patrimoniale.
L’un des apports paradoxaux de la thèse est de montrer que l’absence d’instrument territorialisé ne signifie pas l’absence d’une politique patrimoniale ou de la patrimonialisation des espaces urbains centraux. En revanche, l’instrument et la réglementation reconfigurent les relations entre les acteurs, lorsqu’elles n’existent pas, ou les confirme et les explicite, lorsqu’elles existent déjà de manière informelle. Au final, cette recherche permet de reconstituer la complexité de l’action publique patrimoniale.
Fiche informative
Lien électronique si la thèse est disponible en ligne
http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00830734
Discipline
Géographie
Directeurs
Patrice MELÉ, Professeur en géographie, Université François-Rabelais, Tours
Universités
Université François-Rabelais, Tours
Membres du jury de thèse, soutenue le 11 Décembre 2012
Corinne LARRUE, Professeure en aménagement de l’espace urbanisme, Université François-Rabelais, Tours
Maria GRAVARI-BARBAS, Professeure en géographie, Université Panthéon-Sorbonne Paris 1
Patrice MELÉ, Professeur en géographie, Université François-Rabelais, Tours
Pascal PLANCHET, Professeur en droit public, Université Lumière Lyon 2
Vincent VESCHAMBRE, Professeur en géographie, École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon
Situation professionnelle actuelle
Chargé de mission en développement local, Conseil régional du Centre
Contact de l’auteur
gigot.mathieu@gmail.com