Les enjeux géoéconomiques, industriels et territoriaux de la délocalisation des entreprises : le cas français

DALILA MESSAOUDI

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L’ouverture et la mise en concurrence des territoires ont bouleversé le paysage industriel et économique français. La survie économique de nombreuses entreprises s’est faite au prix d’un redéploiement spatial de leurs activités appelé communément « délocalisation ». Ainsi, les délocalisations ont d’abord affecté les métiers où la main-d’œuvre constituait une part importante du coût de revient. Ces activités ont connu des moments très difficiles et ont eu pour conséquences de nombreuses fermetures d’unités de production et la perte de dizaines de milliers d’emplois. Aujourd’hui, ce schéma tend à se modifier par la volonté des pays émergents à se positionner aussi sur les activités techniques et technologiques.
Face à ce phénomène inquiétant, les collectivités locales se retrouvent souvent démunies. Comment éviter le départ des entreprises françaises ? Comment attirer de nouveaux investisseurs ? Quelles sont les activités les plus menacées ? Quelles sont les conséquences réelles sur les bassins d’emplois ?
L’objectif de cette thèse était de s’interroger sur un aspect éminemment géographique, à savoir celui de la mobilité, en l’occurrence ici celle des activités économiques et des entreprises dans le cadre de la mondialisation, et sous l’angle particulier des délocalisations. Sa finalité était aussi de réfléchir au rôle spécifique des territoires, qui subissent les délocalisations (leurs conséquences spatiales et économiques sont importantes, notamment sur le dynamisme des régions françaises). En d’autres termes, il s’agissait de répondre à la question suivante : Dans le contexte économique contemporain, marqué par une concurrence globale croissante entre entreprises et entre territoires dont le corollaire est l’exacerbation des délocalisations d’activités, quelles politiques les pouvoirs publics – dans les pays de « vieille » industrialisation, comme ici la France – peuvent-ils conduire pour maintenir activités, emplois et croissance économique dans les territoires placés sous leur responsabilité ?
Nous avons posé en hypothèse principale l’idée que le territoire pouvait être analysé comme un acteur pertinent de lutte contre les transferts de production. Ainsi, les politiques territoriales peuvent agir positivement dans la formation des individus, la mise en avant de secteurs d’activités novateurs, la création d’un terreau économique favorable à l’installation industrielle, etc. Tout un ensemble d’actions économiques collectives peut être mis en œuvre pour rendre un territoire attractif afin d’en faire un outil stratégique de redynamisation économique, se plaçant comme catalyseur d’activités en France.
Cette thèse s’appuie sur trois grands chapitres thématiques. La première partie a eu pour vocation principale de mettre en place un cadre explicatif préliminaire à toute analyse. Elle permet de discuter le concept de délocalisation à travers une présentation bibliographique des principaux travaux d’économistes, de géographes ou d’hommes politiques s’étant penchés sur cette question éminemment stratégique. Les délocalisations sont en effet définies comme un processus multiforme, évolutif dans le temps, une sorte de continuum de situations concrètes extrêmement ouvertes ; dans cette perspective, le croquis décryptant le processus permet une vision plus claire.

Figure 1 : Schéma récapitulatif des types et des formes existantes

La deuxième partie, qui constitue le corps principal de l’ouvrage, est consacrée à l’étude des «territoires, comme remparts contre les délocalisations ». L’approche par branche complétée par des études à l’échelle de régions (notamment Champagne-Ardenne, Ile de France, Nord-Pas-de-Calais, Alsace-Lorraine) ou de territoires, comme la vallée de l’Arve ou la vallée de la Bresle est conduite à l’aide de nombreuses études de cas. Cela nous permet de voir à quel point le lien qui existait entre les entreprises et leur territoire d’ancrage historique s’est distendu face à la nécessaire adaptation de l’appareil productif à la compétition internationale.
La troisième partie examine les territoires et les pays d’accueil des délocalisations. J’étudie ainsi les avantages comparés des pays d’accueil et leur attractivité pour les différentes branches, non seulement industrielles, mais aussi pour les services aux entreprises.
Au travers de ce travail, nous avons essayé de voir dans quelle mesure la géographie économique et industrielle peut contribuer utilement au débat contemporain sur la question qui taraude plus que jamais la société française, en proie à l’inquiétude face à l’avenir. En essayant d’adopter une approche personnelle et originale, ce travail pourrait appeler à d’autres publications. Mais la question des délocalisations ne saurait se poser dans les mêmes termes qu’il y a une trentaine d’année puisque l’essentiel des restructurations industrielles françaises a déjà eu lieu entre 1974 et 1984. Les délocalisations constituent un phénomène ancien et massif. Localisé à l’origine dans certaines branches du secteur industriel, il est désormais plus diffus et généralisé de nos jours.
Les études menées aux échelles nationale et européenne, et présentées dans la première partie, montrent que les délocalisations pèsent a priori peu d’un point de vue quantitatif. Mais les études de terrain et les entretiens menés directement auprès des intéressés nuancent ce constat. Il ressort en effet des principaux entretiens que le phénomène revêt une importance souvent plus grande que ne le prétendent nombre d’études (notamment dans leurs formes insidieuses), notamment parce ce que la plupart d’entre elles ont rapidement vieilli et n’intègrent par les facteurs d’accélération qui ont faite suite à la crise mondiale apparue en 2008. L’analyse du questionnaire développée en troisième partie montre que toutes les entreprises questionnées ont ou vont délocaliser une partie de leurs activités.
Les inégalités semblent devoir se creuser encore dans les années à venir. Les effets des délocalisations sur les territoires sont plus ou moins importants en fonction de leurs caractéristiques propres, mais aussi et surtout en fonction des entreprises elles-mêmes qui s’y trouvent. Si celles-ci sont nombreuses et diversifiées, les conséquences d’une délocalisation seront moindres. Toutefois si les entreprises se trouvent sur des créneaux particulièrement concurrencés ou si les possibilités de mutualisation locale sont faibles, alors le bilan peut être plus inquiétant. Le principal enjeu reste en effet l’emploi, la réelle préoccupation n’étant pas tant les pertes d’emplois liées aux opérations de délocalisation que la capacité des pouvoirs publics à gérer l’afflux des chômeurs et à créer les conditions pour que de nouveaux emplois soient créés en compensation.


Fiche informative

Discipline

Géographie

Directeur

Colette Vallat

Université

Université Paris-Ouest-Nanterre-La-Défense

Membres du jury de thèse, soutenue le 7 juin 2012

– François BOST, Maître de conférences, Université Paris-Ouest-Nanterre-La-Défense
– Michel DESHAIES, Professeur des Universités, Université de Lorraine
– Frédéric LERICHE, Professeur des Universités, Université Versailles St Quentin en Yvelines
– Bernadette MERENNE-SCHOUMACKER, Professeur émérite, Université de Liège
– Colette VALLAT, Professeur des Universités, Université Paris Ouest-Nanterre-La-Défense

Situation professionnelle actuelle

Salariée secteur privé

Contact de l’auteur

Dalilamessaoudi@hotmail.com