ENJEUX ET DYNAMIQUES DE L’INFORMATION GEOGRAPHIQUE DANS LA GOUVERNANCE DES TERRITOIRES URBAINS DU SUD-BENIN

Le registre foncier urbain, un nouvel outil et ses pratiques à l’heure de la décentralisation

 

JULIE CHARLES-DOMINÉ

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Le travail mené s’est intéressé aux outils de l’information géographique en Afrique sub-saharienne et ses enjeux de gouvernement des territoires dans un contexte récent de réformes de décentralisation et de municipalisation. Le terrain d’étude retenu fut la région urbaine littorale du sud-Bénin qui, au-delà de prendre place au sein d’un pays considéré comme « bon élève » selon les injonctions des institutions internationales, a fait l’objet, depuis les années 1990, de plusieurs projets d’installation d’outils autour de l’information géographique notamment à travers les Registres Fonciers Urbains (RFU – sorte de cadastre simplifié) fortement subventionnés par l’aide publique au développement.

D’une façon générale, les outils de l’information géographique sont des outils complexes qui ont besoin, pour leur opérationnalité, de documentations de base et de matériel informatique, des cadres de référence en matière de périmètres administratifs, de la définition de prérogatives de services publics et de ressources humaines réceptives aux technologies. Etudier ces outils dans la région urbaine littorale du Bénin impliquait de prendre un compte un contexte singulier.

– Il s’agissait d’abord d’appréhender une nouvelle méthodologie de gestion des territoires urbains passant par une connaissance plus fine des espaces. Nous avons ainsi balayé les différents stades des techniques de production de l’information territoriale et les initiatives portant sur leur diffusion en Afrique. Nous avons aussi fait état des orientations stratégiques de l’aide publique dans les villes africaines depuis vingt ans.

– Il s’agissait de prendre acte du cadre récent de l’application des réformes de l’administration territoriale (effectives en janvier 2003 mais en préparation depuis 1993) et leurs effets considérables sur les modalités de gouvernement local : modification de la nature réglementaire des relations entre État et collectivités locales, institutionnalisation de la démocratie locale, émergence d’enjeux inédits de mobilisation de sources de financement et de mise en valeur du foncier, etc.

– Enfin, il s’agissait de prendre en considération une géographie locale animée par de vives dynamiques de changements. La région d’étude, polarisée par les villes de Cotonou et Porto-Novo, montrait en effet des évolutions démographiques et de trajectoires de peuplement, des risques environnementaux majeurs, la cohabitation de pratiques relevant à la fois du cultuel, de la coutume administrative locale et du droit moderne, de très forts enjeux fonciers et l’usage ancien d’outils d’aménagement urbain avec le lotissement public.

Le postulat scientifique du travail mené était que les outils de l’information géographique urbaine constituaient un prisme remarquable pour appréhender les modalités de gouvernance des territoires urbains en Afrique sub-saharienne et notamment dans un contexte de métropolisation en cours. Notre principale hypothèse était que la production et les usages de l’information géographique numérique sont à la fois un analyseur et un déclencheur de changement des pratiques liées au territoire. La mise en place et les effets de ces outils peuvent révéler et aviver la complexité des enjeux d’administration, de gestion et d’aménagement d’un territoire.

Les hypothèses secondaires formulées étaient les suivantes :

– Le développement des outils de l’information géographique numérique suscite différentes formes de modalités d’interventions (coopérations bilatérale et décentralisée, appui de l’État, échanges informels) et d’identités d’acteurs (expatriés en contrat de coopération, fonctionnaires de l’État et de collectivités locales, élus, salariés d’entreprise privée, consultants indépendants, acteurs individuels isolés ayant circulé à l’étranger, visiteurs). Il s’inscrit également dans un contexte de conjoncture bien particulier (orientations stratégiques de l’aide publique autour de la « bonne gouvernance », promotion de l’ouverture aux capitaux privés et de la démocratisation de la vie politique).

– L’observation des utilisations des outils montre le déroulement de pratiques locales singulières (appropriation partielle ou totale, partage, rétention, relation interpersonnelle, désintérêt, sabotage). Elle révèle aussi des enjeux de contrôle et de gestion des territoires entre l’État, les équipes municipales, les corporations de métier, des entrepreneurs privés et les encadrements traditionnels et religieux.

– L’ancrage de ces outils dans les administrations est à l’origine de rétroaction sur les dynamiques d’acteurs, sur les territoires eux-mêmes et sur les pratiques de ces territoires. Il crée aussi une dépendance vis-à-vis des technologies et de certaines sources de financement notamment d’origine étrangère.

Pour cette thèse de géographie, nous avons recouru à une méthodologie classique de recherche passant par un bilan de la littérature grise, un état de la question générale jusqu’en 2011 et un recensement de la documentation géographique produite sur la région d’étude. Les grands résultats scientifiques obtenus proviennent d’un travail de terrain mené sur plusieurs fronts. Il a consisté d’abord en une campagne d’entretiens individuels de type semi-directif. Les personnes interrogées ont été les acteurs impliqués dans les travaux autour des Registres Fonciers Urbains mis en place. Cette phase d’entretiens a été l’occasion notamment de collecter des « parcours de vie » dans l’objectif de mettre en perspective certaines dimensions conjoncturelles ou relevant de la sphère des sociologies locales voire de trajectoires personnelles dans les usages de ces outils sur une période de presque 20 ans. L’autre volet du travail de terrain s’est pratiqué dans le cadre d’une participation active de plusieurs années dans des projets de montage d’outils urbains et de formation d’acteurs locaux à la géomatique. Ces activités, relevant aussi de l’expérience professionnelle, ont permis de comprendre « d’en bas » certaines dynamiques locales et d’en mesurer, par un point d’observation hautement privilégié, leurs effets sur les territoires et les pratiques administratives et habitantes des territoires.


Fiche informative

Discipline

Géographie

Directeur

Elisabeth DORIER

Université

Aix-Marseille Université

Membres du jury de thèse, soutenue le 17 décembre 2012

– Elisabeth DORIER, professeur des Universités, directrice de thèse
– Claude de MIRAS, directeur de recherche à l’IRD, président
– Noukpo AGOSSOU, Maître de Conférences HDR – Université d’Abomey-Calavi et Université Porto-Novo, rapporteur
– Dominique COURET, directrice de recherche à l’IRD, rapporteur
– Guillaume JOSSE, directeur général du Groupe 8, examinateur.

Contact de l’auteur

charlesdom@yahoo.fr