L’HABITAT SPONTANE : UNE ARCHITECTURE ADAPTEE POUR LE DEVELOPPEMENT DES METROPOLES ? LE CAS DE BANGKOK (THAILANDE)
FANNY GERBEAUD
La croissance des bidonvilles interroge les modalités de production de la ville, notamment dans les pays en développement. Ce phénomène global demeure majoritairement prégnant dans les métropoles des pays émergents et en développement, où il pose des problèmes sanitaires, environnementaux et urbains notamment (Davis, 2006). C’est ainsi un défi majeur de développement qui illustre les inégalités et une certaine non-maîtrise de la croissance urbaine. À Bangkok, outre la flexibilité de leur architecture, de tels ensembles cristallisent souvent des pratiques sociales et une histoire commune propres au lieu. Bien que rarement pris en compte dans la métropole et victimes d’une image négative, ils font preuve d’un dynamisme économique et associatif stimulant et représentent un enjeu fort face aux notions de développement durable et de droit à la ville, à l’échelle locale comme internationale. Généralement qualifiés de « communautés denses » ou « slum communities », nous avons privilégié ici le terme « habitat spontané » parce que directement lié à la question spatiale et au processus constructif qui le caractérise.
Cette thèse s’intéresse d’une part aux raisons de la persistance de l’habitat spontané dans l’espace métropolitain, et d’autre part à sa potentielle capacité à mieux répondre que l’espace planifié, ou conçu par les professionnels de l’espace, à certains besoins. L’objectif de cette recherche était donc de caractériser le lien entre ce phénomène et la ville, puis de déterminer dans quelle mesure ce peut être une production adaptée pour le développement métropolitain.
Notre première hypothèse devait établir à quel titre – et sur le plan spatial – l’habitat spontané fait partie de l’espace métropolitain. Nous supposions ensuite que part ses configurations spatiales, puis par les transformations que cela suscite dans la fabrication de la ville, ce processus constructif apporte une plus-value dans la métropole et représente une opportunité pour repenser le développement urbain et ses orientations.
Une approche spatiale de l’habitat spontané
Notre recherche prend l’espace pour focale, en tant que révélateur d’enjeux, de pratiques sociales, de représentations mentales, et d’une manière pour les individus de prendre place dans la société. Nos analyses se basent d’une part sur l’observation : les représentations graphiques mettent en évidence les défis posés par notre objet de recherche dans la métropole et ont valeur de démonstration. Nous mobilisons d’autre part des champs disciplinaires connexes tels que la sociologie, l’économie, l’urbanisme ou l’histoire.
Au travers d’une analyse spatiale, d’entretiens d’acteurs et d’observations de terrain, nous abordons l’habitat spontané comme un processus de construction incrémentale issue d’une appropriation individuelle.
Nous étudions le cas unique de Bangkok où les ensembles d’habitat spontané logeaient en 2000 près de 20% de la population de la capitale et remettent en cause les mécanismes de la production urbaine par la diversité de leurs configurations. Cette métropole – ville primaire qui concentre les richesses et les opportunités pour les plus démunis – fait l’objet de tensions locales et internationales (Ascher, 2010), mais représente aussi un lieu « où de nouvelles revendications, de la part des puissants comme des défavorisés, peuvent se matérialiser » (Sassen, 2004).
L’habitat spontané fait émerger les enjeux et conflits autour du développement urbain tandis que l’espace métropolitain permet de le comprendre comme une première réponse au manque de logements et de services abordables. L’habitat spontané et son environnement urbain s’influencent mutuellement ce qui invalide la dichotomie communément admise que la production illégale et spontanée de l’espace gangrène la « ville planifiée ». Cette approche métropolitaine de l’habitat spontané offre enfin l’occasion d’appréhender les mécanismes de conception et de fabrication de l’espace urbain en considérant la métropole dans son entièreté.
La dimension processuelle comme méthode d’investigation
Nous avons analysé l’habitat spontané dans sa dimension processuelle : il s’agissait d’identifier les contextes d’apparition de l’habitat spontané dans l’espace métropolitain, les facteurs qui en expliquent la consolidation et l’évolution, ainsi que le changement de son image au fil du temps. Cette méthodologie transversale peut être employée pour d’autres métropoles, et met en exergue à Bangkok trois grands contextes d’émergence – ou « configurations » – chacun proposant des enjeux et un intérêt propre pour la conception urbaine : l’habitat spontané « ancien », « pur » et « greffé » (figure 1).
Figure 1 : Les trois contextes d’émergence
La première configuration que nous avons nommée « habitat spontané ancien », s’attache aux constructions datant des origines de l’urbanisation de la capitale thaïe. Elle montre que ces ensembles peuvent s’affirmer comme un patrimoine vernaculaire populaire attractif pour le tourisme, ainsi que comme une opportunité de concevoir l’espace urbain conjointement avec les autorités. La deuxième, le « spontané pur », correspond à des ensembles qui n’ont pas ou peu fait l’objet de transformations de la part des autorités ou d’ONG. Avec le temps, les constructions deviennent de véritables quartiers résidentiels concurrentiels pour loger les classes moyennes. Dans la dernière configuration, l’habitat « spontané greffé », les anciens bidonvillois relogés dans des ensembles de logements sociaux datant des années 1960-70 pratiquent des ajouts architecturaux qui viabilisent les appartements exigus et amènent des commerces à l’intérieur des ensembles résidentiels (voire figure 2).
Figure 2 : Principe d’évolution d’une greffe spontanée sur un immeuble de logement social
Par leur évolution spatiale et par la réflexivité qu’ils suscitent auprès des acteurs et spécialistes de l’urbain, les ensembles d’habitat spontané à Bangkok proposent des alternatives stimulantes pour repenser l’action sur l’espace et la participation des citadins à sa création. L’habitat spontané devient peu à peu un outil de développement et une source d’inspiration.
Références citées
ASCHER, François, 2010, Métapolis ou l’avenir des villes, Odile Jacob, réédition (première édition : 1995).
DAVIS M., Le pire des mondes possibles (de l’explosion urbaine au bidonville global), éditions La Découverte, septembre 2006.
SASSEN, Saskia, 2004, « Introduire le concept de ville globale », Raisons politiques, volume 3 numéro 15, pp. 9-23, consulté le 10/02/2011, URL : http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2004-3-page-9.htm.
Fiche informative
Discipline
sociologie, mention architecture
Directeur
Monsieur Guy Tapie
Université
Université Bordeaux Segalen
Membres du jury de thèse, soutenue le 4 décembre 2012
– M. Eric CHARMES, Directeur de Recherche – HDR, ENTPE (Rapporteur)
– M. Yankel FIJALKOW, Professeur – HDR, ENSAPVS (Rapporteur)
– M. Eggarin ANUKULYUDHATHON, Professeur – PhD, Université de Kastsart (Examinateur)
– M. Thierry OBLET, Maître de Conférences, Université Bordeaux 2 Victor Segalen (Examinateur)
– Mme Claire PARIN, Professeur – HDR, ENSAPBx (Examinateur)
– M. Guy TAPIE, Professeur – HDR, ENSAPBx (Directeur de thèse)
Situation professionnelle actuelle
Membre associé du Laboratoire PAVE (ENPSA Bordeaux), architecte d’intérieur
Contact de l’auteur
fgerbeaud@gmail.com