CONDITIONS ET APPORTS DU PAYSAGE MULTISENSORIEL POUR UNE APPROCHE SENSIBLE DE L’URBAIN
Mise à l’épreuve théorique, méthodologique et opérationnelle dans 3 quartiers dits durables : WGT (Amsterdam), Bo01, Augustenborg (Malmö)
THÉA MANOLA
L’action urbaine est en pleine (r)évolution. Les rapports sensoriels à la ville commencent à intéresser de plus en plus la recherche en Sciences Humaines et Sociales, mais aussi, plus timidement et difficilement, les métiers de la conception architecturale et urbaine, proposant d’aborder l’espace selon une nouvelle manière, plus sensible, plaçant l’être humain au centre des préoccupations… En parallèle, le paysage apparaît de plus en plus comme une préoccupation récurrente, faisant notamment écho à la montée en puissance des problématiques environnementales. Cette installation discrète du paysage dans l’actualité n’est pas étrangère du tournant auquel se trouve aujourd’hui la théorie du paysage. Dans ce cadre, sont en voie d’être dépassés les découpages entre d’une part le paysage perçu comme un objet matériel extériorisé, et d’autre part, le paysage considéré comme une création imaginaire intériorisée. Le paysage peut alors être considéré comme un système relationnel entre l’homme (être sensible, situé et actant) et son environnement physique, et nous servir comme lunette interprétative du monde et être ainsi une approche de l’action urbaine intégrant du matériel, du situé, du sensible (sensoriel et signifiant), du politique…
Malgré cet intérêt croissant respectivement pour les rapports sensoriels et le paysage, ces deux domaines restent « étanches » et ne se croisent pas : peu ou prou de recherche traite directement de paysage multisensoriel. Et ce, malgré les travaux plus ou moins anciens sur les paysages monosensoriels. Dans ce contexte, l’objectif de notre travail a été d’essayer de comprendre pourquoi cette rencontre entre sensible et paysage est si difficile, notamment dans son opérationnalisation, et surtout de voir sous quelles conditions (théorique, méthodologique) ce rapprochement pourrait être fait et pour quels résultats opérationnels, ou du moins opérationnalisables. Afin de répondre à notre questionnement, nous avons mis en place une démarche méthodologique emboitée (combinant plusieurs méthodes dans le temps et par leur protocole), en recourant tout autant aux méthodes dites qualitatives qu’aux méthodes habituellement utilisées dans les champs plus opérationnels de l’architecture, du paysagisme et de l’urbanisme opérationnel. Cette démarche méthodologique articule de manière séquencée et progressive :
• Un diagnostic urbain et paysager intégrant une approche et analyse sensible du site ;
• Des investigations de terrain auprès d’acteurs impliqués dans la conception, réalisation et/ou gestion des projets (9 entretiens) ;
• Des investigations de terrain auprès d’habitants : entretiens ouverts courts (30/quartier) ; « parcours multisensoriels » (10/quartier), « baluchons multisensoriels » (8 environs/quartier).
Cette démarche a été réalisée sur des terrains spécifiques, des quartiers dits durables : le Wilhelmina Gasthuis Terrein à Amsterdam (Pays-Bas) ; les quartiers d’Augustenborg et de Bo01 à Malmö (Suède).
En termes de résultats, cette thèse montre que le paysage multisensoriel (PM), par sa consistance spatiale, sociale et sensorielle, peut être un terrain d’échange et de dialogue entre les acteurs professionnels de l’urbain et les habitants. Ce potentiel médiateur est d’autant plus renforcé que la multisensorialité traite non seulement des rapports sensoriels eux-mêmes mais nous renseigne sur bien d’autres thématiques et permet aux sentiments et affects de se libérer.
Concernant plus spécifiquement les rapports sensoriels, cette thèse met en évidence que, malgré la primauté de la vue, les autres sens sont fortement présents dans les discours, à des proportions différentes selon les contextes. Cependant, si nous constatons des différences « quantitatives » entre les différents rapports sensoriels et leur présence dans les quartiers étudiés, il ressort une uniformité sensorielle (autre que visuelle) « qualitative », avec des marqueurs sensoriels relativement communs aux 3 quartiers. Cette uniformité questionne alors la sensorialité des quartiers dits durables ainsi que la reconnaissance de ceux-ci.
Figure 1 – Hiérarchie des rapports monosensoriels dans les quartiers durables étudiés
Source : Manola, 2012
Il ressort aussi que par les thématiques dont il est porteur (écologie ; esthétique ; pratiques et usages de l’espace ; mise en lien de la nature et de l’urbain…), le PM peut être un outil d’action sur les « impensés » de la durabilité urbaine (à l’echelle du quartier et comme celle-ci a été définie parles habitants). Il peut notamment être une approche pour considérer : les aspects esthétiques de la durabilité (et ses retombés sur la qualité du cadre de vie et le bien-être) ; les (changements des) modes de vie et comportements qui l’accompagnent (ou pas) ; l’implication des habitants dans le processus de projet dans la décision et la gestion de leurs territoires de vie. In fine, le PM peut participer à une (re)considération du développement urbain durable plus sensible et qui le positionnera bien plus en termes d’habitabilité que d’éco-gestion technique de l’urbain. D’un point de vue méthodologique, le test de la démarche dans son ensemble a permis de montrer que, sous certaines conditions (adaptabilité, complémentarité des méthodes, innovation méthodologique…), le sensible habitant peut être libéré et exprimé. De plus, notre objectif de tester la méthode inédite des baluchons multisensoriels a été un succès. En effet, les baluchons se complètent avantageusement avec les autres méthodes mises en place et apportent des résultats inédits (accès à des espaces et à des moments de la journée rarement abordés ; discours poétiques et libération des affects et des émotions…).
Figure 2 – Les méthodes, les discours, les lieux associés, les rapports sensoriels exprimésSource : Manola, 2012
Enfin, par la formalisation cartographique de nos résultats sur un des trois quartiers, nous avons souhaité proposer un type de support qui peut servir tout aussi bien comme système d’analyse sensible d’un territoire et de ses potentialités, mais aussi et surtout comme moyen de débat, de discussion et d’implication de la totalité des acteurs intéressés, et qui permettrait à terme, une réelle considération sensible de l’urbain.
Fiche informative
Lien électronique
http://hal.archives-ouvertes.fr/index.php?halsid=fe2p03brh727d3tdcjfodh1ri5&view_this_doc=tel-00732261&version=1
Discipline
Urbanisme, aménagement et politiques urbaines
Directeurs
Chris Younès et Guillaume Faburel
Université
Institut d’Urbanisme de Paris – Université Paris-Est
Membres du jury de thèse, soutenue le 4 avril 2012
– Mme Younès Chris, Docteure et HDR en philosophie, Psycho-sociologue, Professeure des écoles d’architecture (ENSA de Paris la Villette, ESA), Directrice et chercheure au Gerφau – UMR CNRS 7218 LAVUE – co-directrice de thèse
– M. Faburel Guillaume, Docteur et HDR en Urbanisme et Aménagement, Géographe et Urbaniste, Maître de Conférence (Institut d’Urbanisme de Paris, Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne), Chercheur au Lab’Urba – co-directeur de thèse
– M. Luginbühl Yves, Docteur et HDR en Géographie, Directeur de recherche émérite (Section CNRS 39) – rapporteur
– M. Thibaud Jean-Paul, Docteur et HDR en Urbanisme et Aménagement, Sociologue, Directeur de recherche – CRESSON (ENSA de Grenoble)/UMR CNRS 1563 – rapporteur
– M. Paquot Thierry, Docteur et HDR en philosophie, Professeur des universités (Institut d’Urbanisme de Paris, Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne), Chercheur au Lab’Urba – examinateur
– Mme Lemercier Evelyne, Chargée de mission – Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement (MEDDTL) – Direction Générale de l’Aménagement, du Logement et de la Nature (DGALN) – Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) – examinatrice
Situation professionnelle actuelle
Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’Institut d’Urbanisme de Paris – Université Paris-Est Chercheure associée au Lab’Urba – Institut d’Urbanisme de Paris Chercheure associée à l’Atelier de recherche Politopie
Contact de l’auteur
thea.manola@gmail.com