Migrations et division sociales de l’espace en Toscane : structures et dynamiques

DAVID FRANTZ

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L’objectif de cette thèse est d’étudier les rapports entre d’une part la division sociale de l’espace – mesurée par la distribution spatiale des différentes professions et catégories sociales (PCS) – d’une formation sociale du Centre capitaliste, et d’autre part la répartition des populations migrantes dans cette dernière. L’hypothèse principale stipule que la division spatiale des populations immigrées tient compte des mutations économiques et de la dynamique de la division sociale de l’espace hôte, conformément au concept d’ “immigration post-fordiste” du sociologue italien E. Pugliese.
Le choix d’un plan classique allant de la petite à la grande échelle (au sens géographique) a permis d’adopter une présentation qui va du plus simple et du plus théorique à la complexité de la réalité. De l’exposition synthétique de l’analyse marxiste du capitalisme avec l’importance donnée à la division sociale en classes sociales, aux liens entre espace, migrations internationales et capital (marché du travail, mondialisation, droits), à la division sociale de l’espace urbain définie comme espace de la lutte des classes tant pour les classes sociales que pour l’insertion urbaine des populations immigrées, la première partie de l’étude s’est attachée à exposer les fondements de la division sociale de l’espace sur la base de la théorie de Marx.
Ensuite, l’exposition des contextes géographique et social de l’Italie et de la Toscane (parties 2 et 3) a permis de décrire le cadre dans lequel se déroule l’immigration des années 1980 aux années 2000. Les déséquilibres territoriaux (le principal étant la division Nord/Mezzogiorno), la crise démographique, la flexibilisation-précarisation du travail ainsi que la suburbanisation structurent les mutations socio-économiques et spatiales de la Péninsule. C’est dans ce contexte national post-fordiste qui s’appuie sur une vulnérabilisation juridique (titres de séjour, emplois formels, accès au logement, etc.) que l’immigration – récente, relativement massive et diversifiée – est reléguée au travail et à l’espace les plus difficiles et précaires. En Toscane, région définie dans les années 1980-1990 comme faisant partie de la “Troisième Italie” (districts industriels et flexibilité du travail), la distribution spatiale de l’immigration est conforme aux déséquilibres démographiques et économiques du territoire, Florence étant le pôle principal d’accueil des nouvelles populations. Les modèles territoriaux du travail immigré proposés par le sociologue M. Ambrosini vérifient les liens entre les secteurs d’activité, la forme du travail (déclaré ou informel), les nationalités immigrées et leur sexe : les modèles de l’industrie diffuse (districts) et de l’économie métropolitaine (care féminin) représentent les deux principaux territoires de l’immigration.
A une échelle plus restreinte, l’analyse de la division sociale au sein de l’espace intra-urbain florentin a permis d’établir les correspondances entre la structuration socio-spatiale de la capitale régionale et les divers systèmes migratoires (parties 4 et 5). Dans un premier temps, l’analyse géo-historique de l’espace florentin a confirmé l’héritage de la division de la ville entre un Est bourgeois et un Ouest populaire dont les prémisses ont été mis en place par la planification urbaine de la seconde moitié du XIXè siècle. Depuis cette période, la ville a constitué un enjeu social, économique et spatial pour la bourgeoisie florentine, qui s’est vérifié à la fin du XXè siècle au travers de l’expansion urbaine et de la suburbanisation, de la désindustrialisation et de la tertiarisation, les grandes lignes de la division socio-spatiale étant confirmées par l’affirmation et la concentration des nouvelles classes moyennes-supérieures (cadres, professions libérales). La distribution des populations étrangères repose principalement sur cette division Est/Ouest, le centre historique de la ville étant un espace plus mixte quoiqu’en voie d’embourgeoisement. Cette division a d’abord été vérifiée en distinguant les étrangers suivant leur provenance entre pays du Centre (ou pays “riches”) et pays de la Périphérie (ou pays “pauvres”), et ensuite suivant la spécialisation fonctionnelle des populations de ces derniers (les “immigrés” proprement dit). Ainsi, leur espace résidentiel correspond aux quartiers populaires de l’ouest de la ville, plus sous une forme diffuse que de concentration (sauf pour les Chinois), tandis que l’espace des communautés employées dans le care et la domesticité (Philippines, Sri Lankais) est conforme à celui de leurs familles-employeurs des classes moyennes-aisées chez qui elles habitent. En outre, une enquête par questionnaires et entretiens sur le marché touristique de San Lorenzo a permis d’étudier les dynamiques de rapports de travail entre populations migrantes et autochtones dans un espace de travail spécifique du centre de Florence.
Enfin, la complexité de la réalité migratoire comme interface entre migration et contexte d’ “accueil” a été illustrée par la situation des Roms à Florence (partie 6). Cette population présente en effet des caractéristiques socio-économiques, juridiques et migratoires qui, dans le contexte xénophobe du passage au XXIè siècle en Italie, interrogent de manière accrue les rapports entre formations sociales. Entretiens et terrain ont été nécessaires afin de comprendre les alternatives mises en place par les autorités locales dans le but de dépasser l’habitat de relégation des Roms (les campi nomadi), et par conséquent les difficultés de l’action publique locale à apporter des réponses à l’insertion des populations migrantes.

Références bibliographiques
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Fiche informative

Thèse disponible en ligne http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00559858/fr/

Discipline

Géographie

Directeur

Petros Petsimeris

Université

Université de Caen Basse-Normandie

Membres du jury de thèse, soutenue le 11 décembre 2010

– Jean-René Bertrand, Professeur émérite de géographie, Université du Maine, rapporteur
– Sergio Conti, Professore ordinario, Università degli Studi di Torino, rapporteur – Marco Costa, Professore ordinario, Università di Trento
– Jean-Marc Fournier, Professeur de géographie, Université de Caen-Basse Normandie
– Robert Hérin, Professeur émérite de géographie, Université de Caen-Basse Normandie, président du jury
– Petros Petsimeris, Professeur de géographie, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, directeur de Thèse

Contact de l’auteur

david.frantz@unicaen.fr