GEOGRAPHIE ET IMAGINAIRE GEOGRAPHIQUE DANS LES VOYAGES EXTRAORDINAIRES DE JULES VERNE : LE SUPERBE ORENOQUE (1898).
LIONEL DUPUY
Les Voyages Extraordinaires de Jules Verne (1828-1905) sont des romans géographiques, appellation que l’auteur revendiquait déjà à son époque : « […] je me suis toujours attaché à l’étude de la géographie, comme d’autres pour l’histoire ou les recherches historiques. Je crois vraiment que c’est ma passion des cartes et des grands explorateurs du monde entier qui m’a amené à rédiger le premier de ma longue série de romans géographiques». Se développant parallèlement et succédant aux romans historiques, particulièrement dans la deuxième moitié du XIXème siècle, les romans géographiques s’articulent autour du passage entre une géographie du réel et une géographie imaginaire.
Dans cette perspective, nous avons analysé comment, dans la série des Voyages Extraordinaires de Jules Verne, s’articule le passage d’une géographie scientifique, campant le récit dans un réel confirmé, vers une géographie imaginaire, fictive ? La transition entre ces deux géographies est ainsi assurée par un opérateur que nous définissons comme le « merveilleux géographique ». Ce dernier associe un récit de genre poético-mythique au merveilleux exotique, tel que ce dernier est défini dans la typologie établie par Tzvetan Todorov.
Dans le cadre de cette thèse nous avons souhaité proposer une analyse systématique – jamais réalisée jusqu’à présent – des différentes géographies présentes dans les Voyages Extraordinaires. Nous avons également voulu éclairer les rapports complexes de cette œuvre littéraire avec la géographie de la 2ème moitié du XIX ème siècle, période clef dans l’histoire de notre discipline. Enfin, nous avons voulu appréhender les romans de Jules Verne en géographe, et par le biais de l’imaginaire, afin de mieux comprendre comment le romancier a su, en son temps, transmettre autrement le savoir géographique.
Nous avons retenu quatre hypothèses afin de mener à bien ce travail :
1) La géographie est au cœur des romans de Jules Verne, elle en est la constante, par opposition à la science et la technique qui ne sont que des variables.
2) L’imaginaire est une composante fondamentale de cette géographie vernienne.
3) Le passage de la géographie scientifique à la géographie imaginaire se fait par l’intermédiaire d’un opérateur que nous qualifions de « merveilleux géographique ».
4) Les Voyages Extraordinaires de Jules Verne sont fondamentalement des romans géographiques.
La méthode que nous avons retenue pour cette étude a été essentiellement exploratoire, en partant d’une démarche résolument inductive. Appliquée au roman Le Superbe Orénoque (1898), cette lecture géographique des Voyages Extraordinaires a permis de dégager quelques composantes récurrentes de l’imaginaire géographique vernien. Métaphores, volcans et circularité structurent ainsi l’espace littéraire vernien, dont l’analyse détaillée permet de montrer comment le romancier a su communiquer et utiliser dans ses récits une forme d’extraordinaire géographique.
Parmi les résultats que nous avons obtenus, nous avons dégagé une grille de lecture susceptible de définir ce qu’est le roman géographique, notamment chez Jules Verne. Cinq caractéristiques principales sont ainsi mises en avant :
1) L’inversion chronotopique : le roman géographique repose sur le passage des fictions romanesques basées sur le chronotope de l’ici/avant (propre au roman historique) vers l’ailleurs/maintenant et l’ailleurs/avant.
2) Le « merveilleux géographique » est l’opérateur principal qui permet le passage du réel vers l’imaginaire (et le retour).
3) Les romans de Jules Verne sont tous caractérisés par la présence d’un imaginaire géographique puissant.
4) La métaphore, particulièrement organiciste, est la figure de rhétorique la plus souvent employée par le romancier lorsque ce dernier doit dire l’extraordinaire, le fantastique, l’imaginaire.
5) Les héros de Jules Verne évoluent dans des milieux et des situations particulièrement propices à être portées par un discours possibiliste.
Ces différentes réflexions, à la croisée de la littérature et de la géographie, nous conduisent à repenser autrement les modalités de transmission du savoir géographique, à une époque où la géographie, en tant que discipline universitaire et enseignée dans le Secondaire, éprouve une certaine difficulté à susciter l’intérêt du public. Il apparaît ainsi de plus en plus nécessaire de revenir vers la littérature et l’imaginaire, des territoires capables de produire une autre géographie. Se dessinent enfin, au travers de cette analyse, les contours d’une géographie littéraire qui ne peut qu’encourager les géographes à relire ces grands classiques de la littérature.
Fiche informative
Lien électronique
http://pagesperso-orange.fr/jules-verne/These_Lionel_Dupuy.pdf
Discipline
Géographie
Directeur
Vincent Berdoulay et Jean-Yves Puyo
Université
Université de Pau et des Pays de l’Adour
Membres du jury
Vincent BERDOULAY, Professeur de Géographie (UPPA), Directeur de thèse
Jean-Yves PUYO, Professeur de Géographie (UPPA), Co-directeur de thèse
Marc BROSSEAU, Professeur de Géographie (Université d’Ottawa), Rapporteur
Isabelle LEFORT, Professeur de Géographie (Université de Lyon II), Rapporteur
Daniel COMPÈRE, Maître de Conférences en Littérature, HDR (Paris III)
Bernard DUPERREIN, Maître de Conférences en Sociologie (UPPA)
Situation professionnelle actuelle
Professeur d’Histoire-Géographie et Français dans le Secondaire et chercheur associé au laboratoire « SET » (Société, Environnement, Territoire) – UMR 5603 CNRS, UPPA.
Contact de l’auteur
lionel.dupuy@univ-pau.fr