METTRE L’ESPACE EN COMMUN

Recherche sur la coprésence dans les lieux-mouvement du métro

THEO FORT-JACQUES

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Ce travail de recherche prend pour objet le problème de la coprésence, tel qu’il se pose aux individus dans les situations ordinaires, où il faut mettre l’espace en commun. C’est pourquoi nous adoptons une démarche exploratoire au plus près des actes et des mots des habitants, démarche guidée par la dynamique de l’étonnement et mobilisant les notions comme des outils pour faire progresser l’analyse.

De la coprésence en mots à la coprésence en actes

Au départ de notre réflexion, il y a l’étonnement face à un paradoxe. D’une part les menaces exercées sur l’espace public contribueraient à la crise de la ville. D’autre part le même espace public apparaît comme le rempart ultime face à ces mêmes menaces pour garantir la citadinité.

Ce paradoxe nous conduit au constat selon lequel cette crise serait autant de l’ordre des faits que de l’ordre des mots. En d’autres termes, en posant la question de la coprésence, ce sont autant les modalités de l’urbanité que nous interrogeons, que nos manières d’en rendre compte, qui sont profondément marquées par les conceptions occidentales, cristallisées autour de la notion d’espace public. D’où une approche critique de l’espace public à la lumière d’un double processus de publicisation/privatisation, qui souligne les contradictions internes à la notion.

Dans cette perspective, l’espace public apparaît comme une utopie. Remarquons que l’utopie n’est pas l’espace qui n’existe pas : dans un rapport de transcendance au réel, il nous en dit quelque chose (fonction critique) et il est susceptible de le transformer (fonction prospective). Le discours sur l’espace public apparaît ainsi à la fois comme une modalité de connaissance des recompositions contemporaines de l’urbanité et comme un levier pour la promotion d’un nouvel esprit de l’urbanisme, fondé sur la critique de l’urbanisme fonctionnaliste et soucieux des modes vies.

L’espace public demeure une notion riche de perspectives. Par ses vertus performatives, l’utopie est susceptible de se réaliser en des circonstances spécifiques. Mais le principal problème demeure : ainsi conçu l’espace public place la dimension problématique de la coprésence dans un angle mort. D’où la nécessité d’une approche renouvelée, au centre de laquelle on place le problème de la coprésence en actes qui renvoie à l’enjeu de la mise en commun de l’espace.

L’exploration des espaces de la coprésence

Pour mener l’exploration, observer ce qu’il advient de la coprésence au sein des lieux-mouvement apparaît particulièrement éclairant. D’une façon générale, sont ainsi désignés les espaces produits par la mobilité, théâtres de spatialités et de sociabilités foisonnantes. Plus singulièrement, les espaces du métro à Paris attirent l’attention en raison de la pensée aménagiste qui préside à leur conception. Cette dernière a fait l’objet d’un changement de paradigme amorcé dans les années quatre-vingt autour des travaux du département Prospectives de la RATP. Dès lors, le métro n’est plus pensé seulement comme un espace de flux, mais, plus fondamentalement, comme un espace public.

Le cas du complexe d’échange de la Défense apparaît d’autant plus intéressant que son réaménagement récent constitua une opérationalisation de ce nouveau paradigme. Le projet Cœur-transport, qui intègre les enjeux de la complexité d’un pôle d’échange multimodal, la pluralité des échanges et la vocation urbaine du dispositif, permet ainsi de voir l’utopie de l’espace public à l’œuvre. En outre, sa situation de commutateur urbain à l’échelle de l’agglomération parisienne et du quartier d’affaire de la Défense en fait un cas pertinent pour l’étude de la coprésence en actes.

La méthodologie adoptée pour l’enquête se veut exploratoire, adaptée au contexte et soucieuse de prendre au sérieux les individus. D’où le choix d’entrer par des situations précises, afin de ne pas en rester à une approche surplombante du dispositif spatial. L’observation permet un repérage et une première approche des situations pertinentes. Afin de saisir le versant subjectif et inventif des pratiques ordinaires, il convient en outre de suivre les usagers dans le cadre d’entretiens redoublés. Les individus sont tout d’abord interrogés à la faveur de parcours commentés. Effectuée in situ, la méthode consiste à décrire l’espace en même temps qu’on le parcourt. Suscitant un discours sur l’espace là où il se passe usuellement de mots, elle présente l’intérêt de faire coïncider la situation d’énonciation et l’objet d’analyse. Les usagers sont ensuite invités à un retour sur expérience réalisé ex post. Il s’agit alors de relier la singularité du parcours commenté à une pratique plus générale du déplacement tout en invitant les individus à l’auto-interprétation. Incidemment, ils évoquent les enjeux pratiques et politiques de la mise en commun, en ayant recours notamment au registre du mythe pour éclairer leurs récits.

Laissant place aux imprévus et acceptant la dérive proposée par les individus, nous pouvons alors saisir la coprésence de manière pertinente, c’est-à-dire telle qu’ils la négocient, eux. D’où un cheminement en trois temps, dans le complexe d’échanges tout d’abord, puis au sein de l’espace global du déplacement et enfin dans la rame du la ligne 1 du métro parisien. Ces trois cadrages successifs ont permis de restituer la dimension géographique du problème de la coprésence, qui ne va pas de soi. Elle est négociée en situation à partir d’agencements géographiques multiples que n’épuise par l’idée d’espace public. Ces espaces ne sont ni tout à fait publics, ni tout à fait privés. Nous les appelons communs dans la mesure où ils résultent de procédures de mise en commun au caractère contingent et tributaires de l’épreuve du déplacement.


Fiche informative

Discipline

Géographie

Directeurs

Vincent Berdoulay et Frédéric Tesson

Université

Université de Pau et des Pays de l’Adour)

Membres du jury de thèse, soutenue le 1er décembre 2010

– Vincent Berdoulay, Professeur, Université de Pau et des Pays de l’Adour, Directeur
– Frédéric Tesson, Maître de conférence, Université de Pau et des Pays de l’Adour, Co-directeur
– Dominique Crozat, Professeur, Université Paul Valéry Montpellier 3, Rapporteur
– Jérôme Monnet, Professeur, Université Paris Est Marne-la-vallée, Rapporteur
– Paulo C. da Costa Gomes, Professeur, Université Fédérale de Rio de Janeiro
– Pierre Zembri, Professeur, Université de Cergy-Pontoise, Président

Situation professionnelle actuelle

Chercheur associé au Laboratoire Société Environnement Territoire (SET). UMR 5603 – CNRS et Université de Pau et des Pays de l’Adour

Contact de l’auteur

theofortjacques@hotmail.com