Habiter une ville lointaine : le cas des migrants japonais à Paris

HADRIEN DUBUCS

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Cette thèse porte sur les 10 à 20 000 Japonais résidant dans l’agglomération parisienne. Elle propose un éclairage thématique sur l’insertion urbaine de migrants très qualifiés dans un contexte métropolitain, et développe d’un point de vue théorique une réflexion sur les articulations entre plusieurs formes et échelles de mobilités spatiales : parcours migratoire, circulations entre les lieux de l’espace de vie, choix résidentiels et pratiques ordinaires dans l’espace urbain de résidence.

Les pratiques de mobilités d’une « élite migrante »
Les migrations japonaises à Paris illustrent une mobilité internationale Nord-Nord, inter-métropolitaine et opérée par des individus dotés de qualifications professionnelles élevées et d’un niveau de revenu qui les apparente aux classes moyennes et supérieures de la ville de résidence. Pour autant ils ne sont pas réductibles aux highly skilled migrants et transnational elite (cadres de la finance notamment) qui depuis les années 1990 ont focalisé l’attention des chercheurs s’intéressant aux mobilités induites par la mondialisation économique et la métropolisation (Beaverstock, 2002). Les Japonais résidant à Paris ont en effet des profils variés : actifs très qualifiés employés par des firmes multinationales, expatriés pendant deux à cinq ans avec leur famille ; étudiants en langue française, en art, en cuisine ou en musique ; migrants d’âge actif en quête de dépaysement, de prise de distance avec un environnement social ou familial jugé étouffant, ou aspirant à un véritable « nouveau départ » professionnel ou personnel.

Démarche méthodologique : articuler les différentes échelles de mobilités spatiales
Le principal matériau empirique de la thèse est issu d’entretiens approfondis avec trente-sept migrants japonais de profils socioprofessionnels et démographiques variés, qui saisissent précisément leur parcours migratoire (utilisation d’une matrice biographique inspirée des démographes) et leurs rapports pratiques et affectifs à l’espace parisien. Cette approche qualitative est complétée par : le traitement statistique et cartographique de données détaillées de recensement (INSEE, RGP 1999) ; des enquêtes thématiques auprès des professionnels de l’immobilier à Paris et avec des acteurs politiques parisiens ; des observations dans des secteurs de concentration japonaise ; des observations à Tokyo et à Osaka dans les lieux habités ou fréquentés par les enquêtés avant leur séjour parisien. Ce système méthodologique a permis de décrire des systèmes individuels de mobilités, aux échelles de l’espace de vie et de l’espace urbain de résidence. Il a aussi permis de saisir les interactions entre des stratégies individuelles de mobilités intra-urbaines et des dispositifs encadrant les séjours.

Une approche compréhensive des « manières d’habiter »
La thèse s’attache à analyser la diversité des « manières d’habiter », entendues comme les rapports pratiques (agencement spatial des activités banales ou plus rares) et idéels (rapports au logement, au quartier et à la ville) que les individus développent avec leur environnement citadin. L’hypothèse est que par leurs manières d’habiter les individus prennent en charge les déclinaisons spatiales, sociales et culturelles de la grande distance constitutive de l’expérience migratoire entre le Japon et la France.
Plusieurs résultats résultent de cette approche. D’abord, la diversité des manières d’habiter ne coïncide que très imparfaitement avec la diversité socioprofessionnelle. On retrouve ainsi de grandes similitudes entre des cadres expatriés et des étudiants séjournant un ou deux ans à Paris: recours exclusif à des ressources communautaires pour accéder au logement, localisation résidentielle dans le centre-ouest valorisé de l’agglomération parisienne, polarisation des pratiques banales par le quartier de l’Opéra (centralité commerciale japonaise) et quelques « hauts-lieux » parisiens mentionnés par les canaux japonais d’information sur Paris.
Les facteurs de différenciation entre individus relèvent bien davantage du projet associé à la séquence parisienne du parcours (aspiration à l’expérimentation de pratiques citadines, ou au contraire recherche de la plus grande « fluidité » possible pour un séjour d’emblée conçu comme temporaire), et des compétences issues des étapes antérieures du parcours (capacités d’adaptation à un environnement urbain inédit). En outre, les séjours même de quelques années peuvent être selon les individus marqués par une évolution significative des manières d’habiter. Les enquêtes réitérées à plusieurs mois d’intervalle avec les mêmes migrants ont en effet mis en lumière des processus de familiarisation avec l’espace parisien, d’ancrage dans le quartier de résidence, et d’autonomisation vis-à-vis des ressources japonaises localisées (commerces, réseaux sociaux, services).
Finalement, la diversité des modalités de l’insertion urbaine des migrants japonais peut être organisée en quelques grandes « types », selon que Paris apparaît comme une « étape », un « espace de primarité » (Rémy, 1999), un « espace d’expérimentation », ou un « espace de vie par alliance ».

Références bibliographiques
BEAVERSTOCK J. V., 2002, Transnational elites in global cities : British expatriates in Singapore’s financial district, Geoforum, vol. 33, n°4, pp. 525-538.
KAUFMANN V., 2008, Les paradoxes de la mobilité. Bouger, s’enraciner, Lausanne, Presses Polytechniques et universitaires romandes, Coll. « Le Savoir Suisse », 115 p.
REMY J., 1999, Dédoublement des espaces sociaux et problématiques de l’habitat, in BONNIN P. et VILLANOVA (de) R., D’une maison l’autre, parcours et mobilités résidentielles, Grane, éditions Créaphis, pp. 315-345.


Fiche informative

Lien électronique vers la thèse

http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00441142/fr/

Discipline

Géographie

Directeur

Françoise Dureau

Université

Université de Poitiers

Membres du jury de thèse, soutenue le 30 novembre 2009

-Jacques BRUN, Professeur retraité Université Paris I
-Françoise Dureau, Directrice de recherches IRD
-Jean-Pierre Lévy, Directeur de recherches CNRS
-Emmanuel Ma Mung, Directeur de recherches CNRS
-Jean-Baptiste Meyer, Directeur de recherches IRD
-Paul White, Professeur, University of Sheffield

Situation professionnelle actuelle

ATER en géographie à l’Université Paris Est Créteil

Contact de l’auteur

hdubucs@gmail.com