L’ « ECO-LOGIS » : UNE INNOVATION DURABLE

Analyse sociologique de l’écologie résidentielle en France et au détour de la Finlande et de l’Espagne

Sophie Nemoz

Télécharger l'article

Ma thèse s’intéresse à la genèse et à la diffusion des habitations écologiques en France. C’est un objet d’actualité qui, en dépit d’une médiatisation à foison, reste insuffisamment connu. La recherche a dû faire preuve d’une grande créativité pour le constituer en un nouvel objet d’étude sociologique. En effet, dans cette discipline, seule une enquête lui avait été consacrée : le mémoire du docteur Salvador Juan sur la maison solaire (1985). Vingt ans plus tard, le projet consiste à élargir le savoir des sciences humaines sur un phénomène que l’on appelle à tord ou à raison : « l’habitat durable », faute de comprendre systématiquement le processus sous-jacent. La motivation majeure de l’étude contemporaine s’inscrit dans une volonté d’associer l’élaboration de connaissances fondamentales à la solution des problèmes pratiques de l’intervention politique et sociale.

Cette qualité exploratrice a retenu l’intérêt d’une institution : le Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire. Le travail d’investigation a ainsi bénéficié du soutien d’opérateurs (le PUCA : Plan Urbanisme Construction et Architecture et, l’ADEME : Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie), directement impliqués dans la promotion des normes afférentes à la durabilité des bâtiments. L’enquête des coulisses de l’action publique va au-delà de ce récent mot d’ordre international. Elle a recours au principe du détour, développé par George Balandier, une distance adaptée à la nature idéologique de l’objet de recherche. Les études de cas centrées sur la Finlande et l’Espagne sont révélatrices des spécificités des politiques françaises et de leurs interactions avec les autorités supranationales des Nations Unies ou de l’Union Européenne, comme avec leurs publics locaux : les bâtisseurs et les habitants du territoire hexagonal. Au total, près d’un centaine d’entretiens biographiques ont été menés en vue de mieux appréhender l’évolution des relations de l’homme à la Terre. La méthode du récit de vie permet en effet de dépasser les discours stéréotypés, en confrontant la parole des personnes interrogées à une expérience directe. Les changements de matérialité, de pratiques et de valeur des lieux se produisent avec le temps, le temps d’une vie mais aussi le temps social.

Comprendre le rapport au milieu naturel et l’organisation sociale qu’il implique constitue le fil directeur de ce travail fondé sur des enquêtes de terrain et sur une réflexion documentée à l’aide d’archives historiques. L’analyse des espaces habités commence ainsi par mettre en lumière le caractère construit de nos catégories d’action et de compréhension de l’écologie résidentielle. La formule, aujourd’hui consacrée, de l’habitat durable apparaît comme le produit d’un long processus d’innovation incrémentale. De fait, elle résulte d’une succession de petits changements. Si la résolution des problèmes entre les résidences humaines et leurs environs géographiques est une constante dans l’histoire de l’humanité, l’imaginaire en connaissance de cause environnementale est en revanche, relativement récent. La recherche d’une cohabitation viable avec la nature procède au préalable d’une intuition vitale des peuples primitifs puis, d’une fonction hygiéniste et récréative lors de l’expansion des sociétés industrielles. La thèse s’attache à renouveler le regard sur la dynamique non linéaire des interactions entre nature et société, pour préciser les contours de la problématique actuelle. Celle-ci prend place dans un contexte situationnel, à l’intérieur d’une réalité circonscrite spatialement et temporellement : l’urbanisation occidentale des années 1960-1970. Ce que ce phénomène a de spécifique en France s’aperçoit en comparaison des territoires finlandais et espagnols. Favorisé par le baby-boom et la planification des reconstructions d’après-guerre, l’élan de modernisation des villes se heurte aux critiques des groupuscules écologistes du mouvement de mai 1968. Ils imputent à l’État, les conséquences des projets urbains qui leur paraissent non maîtrisées, incertaines sur le plan environnemental comme humain.

L’approche internationale permet aussi de repérer que la diffusion des préoccupations relatives à l’écologie résidentielle transcende les spécificités territoriales. Ce procès de publicisation des problèmes de cohabitation entre nature et société déstabilise les croyances autour de l’amélioration continue des conditions de vie de l’humanité. La contestation prend une envergure géopolitique au moment des chocs pétroliers. Depuis un pôle globalement désenchanteur de la marche en avant du Progrès, dont les pressions sur les biens extraits de la Terre sont accusées d’en menacer la pérennité, une minorité transnationale parvient à impliquer l’intérêt général, en soulevant la question critique de l’avenir commun des deux parties, sociale et naturelle. Ainsi, l’enjeu des normes de construction environnementale monte en puissance et atteint un premier sommet supranational : la conférence des Nations Unies sur les établissements humains, dite « Habitat I » (Vancouver, 1976). Elle inaugure un cycle de négociations entre les tenants de l’ordre mondial qui, en quasiment deux décennies, reformulent un projet à l’origine marginale à travers l’expression de l’habitat durable, en cherchant à concilier les antagonismes exacerbés par l’écologisme. Cette mise en forme statutaire ne s’inscrit pas en faux contre le système marchand fondé sur la croissance, mais recommande d’en corriger les excès dans la perspective d’opérations saines et confortables pour tout un chacun qui préservent des éléments naturels : la faune, la flore, la terre, l’eau, l’air et les ressources énergétiques grâce à des moyens de production peu coûteux en transport.

Qu’en est-il réellement ? On ne connaît guère le point de vue des intéressés. L’évolution des modes d’habiter et plus généralement la convergence dans la sphère scientifique d’interrogations sur la manière dont les hommes habitent la Terre ne sont pas isolées du champ social et politique. En m’immergeant dans leurs univers, j’ai pu faire apparaître ce qui fait sens dans les pratiques des dirigeants, des professionnels et des habitants. Le flou du nouveau mot d’ordre résidentiel possède une utilité, celle d’amener des puissances aux compétences différentes à éclaircir les composantes de la qualité environnementale en fonction de leurs enjeux. En mettant les politiques à l’épreuve des pratiques de la société française, le secteur marchand de l’éco-construction s’avère fortement encastré dans un système étatiste de jeux d’acteurs où, les stratégies adoptées à l’égard de la production écologique des habitations sont tributaires des opportunités et des contraintes perçues dans la logique normative de l’État. L’exploration de l’univers habitant laisse penser que le degré d’acceptation des changements nécessaires à la pérennité des écosystèmes dépend de la propension des ménages à identifier la promesse d’une évolution conforme à la géographie de leurs besoins. Penser l’habitable aujourd’hui invite à considérer davantage la mise en désir de l’objet « nature » dans les pratiques spatiales.


Fiche informative

Discipline

Sociologie

Directeur

Dominique DESJEUX

Université

Paris Descartes – Sorbonne

Membres du jury de thèse, soutenue le 24 novembre 2009

– Dominique DESJEUX, Professeur à l’Université Paris Descartes
– Michel LUSSAULT, Professeur à l’ENS-LSH – Université de Lyon
– Norbert ALTER, Professeur à l’Université Paris Dauphine
– Florent CHAMPY, Chargé de Recherches, HDR au CNRS, Centre de Sociologie du Travail et des Arts
– Edwin ZACCAI, Professeur à l’Université Libre de Bruxelles

Situation professionnelle actuelle

Post-doctorante au Centre d’Etudes du Développement Durable – IGEAT – Université Libre de Bruxelles

Contact de l’auteur

sophie.nemoz@gmail.com