MEMOIRE DES HOMMES, MEMOIRE DES SOLS

Étude ethno-pédologique des usages paysans du Mont Cameroun

Nicolas Lemoigne

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Le Mont Cameroun est grand volcan de type hawaïen de 4095 mètres d’altitude, situé dans la région Sud-Ouest de la République du Cameroun. Posé sur la frange littorale du Golfe de Guinée, cet édifice basaltique d’une richesse environnementale exceptionnelle plonge directement dans les vagues de l’océan Atlantique.

La fertilité légendaire des sols du volcan attire depuis des siècles une mosaïque de populations en cohabitation parfois difficile, dans un contexte de brassage culturel intense. Des communautés paysannes profondément enracinées au site côtoient des familles récemment immigrées, des systèmes culturaux anciens touchent d’immenses plantations productivistes héritées du système colonial, les sociétés rurales font face aux réalités urbaines, les idées et les cultures s’entrecroisent sur un espace attrayant dont les ressources génèrent les convoitises. La mémoire des hommes y est changeante et diversifiée. Il faut savoir en reconnaître les formes dominantes, légitimées par l’histoire officielle et la force économique, les formes marginalisées ou en désespoir, perdues dans la multitude.

C’est cette pluralité mémorielle, collective, qui nous intéresse ici, dans ses logiques et ses rapports d’interaction avec les sols du Mont Cameroun à l’origine du peuplement humain. La profonde analogie entre les fonctionnements de la mémoire sociale et naturelle constitue les fondements de ce travail, tant par leur similitude structurale intrinsèque que par le jeu des interactions permanentes qui préside au nécessaire contact entre les hommes et les sols. Nous tentons de répondre à la question suivante : comment fonctionnent les mécanismes de l’interaction entre les mémoires sociale et pédologique sur le versant Wouri du Mont Cameroun ?

Notre approche de la question mémorielle se conçoit comme une position méthodologique soucieuse d’appréhender un certain champ de représentations culturelles et de pratiques propres à la mosaïque sociale vivant sur les pentes du Mont Cameroun, racontées par elle-même et son environnement immédiat. Les usages s’expliquent à travers les perceptions que les gens développent du milieu, et inversement les caractéristiques du milieu influencent la mise en place de certaines pratiques. Ces mêmes usages modèlent les sols et construisent des paysages en y laissant, comme à livre ouvert, les traces de leur mémoire. L’approche ethno-pédologique s’est naturellement imposée lorsque nous avons voulu aborder la question des pratiques paysannes des pentes du Mont Cameroun. Le travail de terrain qui a permis la réalisation de cet écrit a duré presque un an. Nous nous sommes concentrés sur le versant sud-est du Mont Cameroun (dit « versant Wouri ») sur lequel s’étend l’agglomération de Buea ainsi qu’une partie des plantations de la CDC et qui correspond approximativement au cœur du pays mokpe.

La présence sur le site a permis de mettre en place plusieurs méthodes de récolte des données. Les phénomènes d’interaction régissant les rapports entre sociétés et environnement prennent un tout autre sens éclairés par les discours paysans, discours qui ont fait partie intégrante de notre objet d’étude. Des entretiens non dirigés ont été menés avec des interlocuteurs dont les activités ou les connaissances sont en relation avec le milieu. Les mémoires naturelles quant à elles ont été abordées principalement par le biais des sols et de la végétation. L’observation des logiques de catena, des peuplements végétaux et des usages a guidé le choix de prélèvements effectués par excavation de coupes pédologiques permettant de faire apparaître les différents horizons. Un échantillonnage de chaque niveau a été recueilli en vue d’une observation microscopique sous lame mince, afin de déceler les indicateurs de la mémoire du sol : logiques naturelles de formation (minéraux témoins du volcanisme sous-jacent, apports éoliens de tephra, présence des argiles, âge des sols, etc.) sous influence des actions anthropiques (présence de matière organique cuite, de charbons de bois, profondeur des horizons organiques, techniques améliorantes ou destructrices, etc.).

La mémoire sociale en rapport avec les sols se construit par le vécu collectif, elle se nourrit de l’expérience et de la relation intime avec la terre. Sur le Mont Cameroun, comprendre les pratiques des hommes sur le sol, c’est comprendre avant tout la manière dont ils le perçoivent. A l’instar des choses de la création, le sol fait partie d’un tout vivant qui impose certaines contraintes. On ne touche pas au sol sans l’assentiment des puissances tutélaires qui en ont la garde. L’agriculture dans ce cas n’est pas seulement un acte matériel de production. Elle relève aussi d’une dimension spirituelle incontournable et met en branle un ensemble rituel qui fait communier les hommes avec les dieux et l’esprit des ancêtres. L’utilisation des sols sur le volcan obéit à un processus complexe de stratégies fluctuantes selon les besoins du moment. L’agriculture itinérante sur brûlis présente un intérêt certain dans le modelage des horizons superficiels, dans les transferts de matière assimilable par les plantes cultivées, dans le remaniement progressif des essences végétales forestières et, au niveau social, dans la garantie économique qu’il confère aux familles. Lorsque le système est bien mené, les paysans touchent à la perfection. De nombreuses difficultés cependant prennent leur source dans les tensions foncières héritées de l’histoire coloniale. Les populations nouvellement arrivées sur le site ont rarement la maîtrise de leur terre et sont pressées par des nécessités d’ordre économique.

Certaines pratiques, mal adaptées au nouveau contexte, contribuent à l’épuisement de sols à l’origine fertiles. A cela s’ajoutent l’exploitation de terres déjà passablement appauvries par les cultures intensives de la Cameroon Development Corporation ou encore les politiques gouvernementales incitatives entrainant un usage abusif des intrants d’origine industrielle. La multitude de pratiques en relation avec les sols sur le Mont Cameroun, témoigne de systèmes de représentations diversifiés, de savoir-faire savants qui méritent une écoute attentive. Les sols comme les sociétés transmettent un héritage mémoriel digne de respect, sa prise en compte est une ressource pour l’avenir des sociétés rurales.


Fiche informative

Discipline

Géographie

Directeur

Simon Pomel

Université

Bordeaux 3

Membres du jury de thèse, soutenue en mars 2010

– Simon POMEL, Directeur de Recherche CNRS, UMR ADES 5185, Bordeaux (directeur)
– François BART, Professeur, Université Michel de Montaigne, Bordeaux III (président)
– Michel MIETTON, Professeur, Université Jean Moulin, Lyon III (rapporteur)
– Georges DE NONI, Directeur de Recherche IRD, Bondy (rapporteur)
– Willy VERHEYE, Directeur de Recherche, Université de Gand, Belgique (examinateur)
– Samson ANGO, Maître de Conférences, Université de Ngaoundéré, Cameroun (examinateur)

Situation professionnelle actuelle

ATER à l’université de Bordeaux 3, UMR ADES 5185

Contact de l’auteur

colalem@yahoo.fr