LES ATLAS « AUTREMENT »
Anthony Merle
anthony.merle@ac-grenoble.fr
Agrégé de géographie, professeur dans l’Académie de Grenoble
Entretien avec Laure Flavigny
Responsable de la collection des Atlas chez Autrement
Ce court texte est l’occasion d’aborder la rubrique « Carnets de lectures » en partant d’un ouvrage particulier (T. Sanjuan, 2007, Atlas de la Chine, Paris, Autrement, 80 p) pour l’élargir à l’ensemble d’une collection, celle des atlas géographiques Autrement. En effet, outre un ensemble d’atlas historiques, voilà plusieurs années que la collection Autrement propose des atlas thématiques (atlas des religions, atlas des langues, atlas des développements durables…) et régionaux (atlas de l’Inde, atlas du Japon, atlas de l’Espagne…). Ces ouvrages, notamment ceux confiés à des géographes spécialistes des questions et/ou espaces traités, sont extrêmement riches et intéressants et ce pour plusieurs raisons.
Des scientifiques aux commandes
La majorité des atlas de la collection est dirigée par des scientifiques, notamment des géographes. Cette « caution scientifique » permet, entre autres, d’utiliser ces atlas à des fins pédagogiques. Un atlas a échappé à la règle : il s’agissait de l’Atlas mondial du développement durable, estampillé Comité 21 (Comité français pour l’environnement et le développement durable). Uniquement global, sans changement d’échelle ni études de cas, cet atlas n’est plus commercialisé aujourd’hui au profit de l’Atlas des développements durables, publié en septembre 2008 et co-dirigé par Yvette Veyret et Paul Arnould (et rassemblant 32 géographes).
L’effort didactique est considérable
Si la majorité de ces atlas est réalisée par des scientifiques, le contenu est très largement « didactisé », donc simple à lire et à comprendre. L’Atlas de la Chine de T. Sanjuan est remarquable à ce sujet. A titre d’exemple, l’auteur réussit ainsi à expliquer au lecteur de façon très simple – et non simpliste – le fonctionnement bien particulier des relations interpersonnelles en Chine (p.13) et ce grâce à une habile utilisation de la première personne du singulier. Cet effort pédagogique permet de proposer une géographie accessible et de qualité, tant pour le « grand public », que pour les étudiants et les enseignants du supérieur ou du second degré.
L’approche est résolument multiscalaire…
La collection propose des atlas à toutes les échelles. Certains sont consacrés à des questions d’envergure mondiale (atlas des religions, atlas des migrations…), alors que d’autres sont ciblés sur l’étude de villes, comme en témoigne la naissance récente d’une collection « Mégapoles », avec pour l’instant trois atlas ayant vu le jour (Moscou, Shanghai et New York). Entre ces deux échelons, il existe des atlas faisant référence à des échelons nationaux (Espagne, Inde, Japon…), supra-nationaux (Atlas d’une nouvelle Europe, Atlas géopolitique du Caucase…) ou infra-nationaux (Atlas de la Californie).
En outre, l’approche multiscalaire est également visible dans la majorité des atlas. Par exemple, l’Atlas de la Chine de T. Sanjuan propose, pour étudier les mutations accélérées de la société chinoise, des figures à toutes les échelles, de l’espace domestique (« un appartement familial à Pékin », p.23) à l’espace mondial (« la répartition des étudiants chinois » p.25), en passant par tout un ensemble d’échelons intermédiaires. Il est regrettable que certains atlas, l’Atlas géopolitique de l’Afrique par exemple…, ne disposent que trop peu de cette labilité scalaire pourtant hautement géographique.
…et bien souvent transversale
Dans la plupart des atlas, quels que soient l’espace et/ou la thématique traités, l’approche se veut très transversale : c’est l’ensemble des « champs » de la géographie qui est bien souvent abordé. Concernant l’Atlas de la Chine de T. Sanjuan, la répartition et les dynamiques de la population et des activités sont étudiées (« La diaspora chinoise » p. 75), tout comme les enjeux de l’aménagement des territoires (« Le barrage des 3 gorges » p.14…), les relations politiques internes et externes (« La Chine et le monde » p. 64-74…), les questions environnementales (p. 44), les spécificités sociales et culturelles (p. 16-18)…
Des documents graphiques de bonne qualité
Ceux-ci contribuent aussi à l’utilisation de ces ouvrages à des fins pédagogiques. Les documents sont variés même si, évidemment, les cartes prédominent. Parfois des efforts de modélisation sont également à noter et apportent ainsi une forme de réponse au risque d’études trop monographiques. T. Sanjuan utilise ainsi l’abstraction (« les cercles emboîtés », p.13) pour expliquer l’organisation du territoire chinois et son rapport au monde à partir de ces caractéristiques culturelles. Quelques figures échappent cependant à la qualité graphique d’ensemble, notamment à cause de choix sémiologiques moins « rigoureux » (« Les géants mondiaux de la distribution à Pekin », p.35).
À l’image de l’Atlas de la Chine de T. Sanjuan, les atlas Autrement constituent donc dans l’ensemble des ouvrages riches, agréables à découvrir, et intéressants à utiliser à des fins pédagogiques et ce à tous les niveaux. Certes, réaliser ce type d’ouvrage dit de « vulgarisation » n’est pas l’activité la plus reconnue pour un chercheur et ne vaut peut-être pas un article écrit dans une prestigieuse revue anglo-saxonne : pourtant voilà une nouvelle occasion pour les géographes universitaires de faire diffuser leur savoir à des publics plus larges, ce qui est a priori bénéfique pour la discipline toute entière.
Entretien de Laure Flavigny (responsable de la collection des Atlas chez Autrement ) avec Amandine Spire pour les Carnets de géographes.
(15 septembre 2010)
Comment est née la collection des atlas géographiques ?
Henry Dougier (directeur/ fondateur des Éditions d’Autrement) s’est toujours intéressé aux atlas, depuis les années 1990. Il achetait aux Anglais des atlas thématiques sur les femmes, les conflits, la presse, les espèces en danger, etc. qui étaient traduits, adaptés et revus. Dans les années 2000, il en a eu assez, pour deux raisons. Premièrement, ces atlas étaient assez gros, donc automatiquement vendus assez chers. Deuxièmement, il s’agissait toujours d’un point de vue anglophone. L’idée était alors de se dire qu’il y avait des universitaires, des cartographes, en France, qui pourraient créer des choses. On a alors démarré une collection et produit des ouvrages plus petits (64 pages), à 13 euros, pour être accessible à un public plus large public. Aujourd’hui, la plupart des atlas ont 80 pages et sont vendus à 17 euros.
Comment choisissez-vous les thèmes/les auteurs de vos publications ?
Les thèmes sont choisis en fonction des programmes, des propositions qui nous sont faites ou en fonction des événements. Par exemple, pour la collection « Mégapoles », on a choisi Shanghaï parce qu’il y avait l’exposition universelle. Comme événements, il y a également les pays invités du festival de Saint-Dié ou les thèmes (comme les Atlas sur les religions, la gastronomie). Mais pour l’Altas des énergies, on avait démarré l’Atlas avant que ne soit décidé le thème de Saint-Dié (il faut en effet un peu plus d’un an pour faire un atlas). Il s’agissait d’une bonne conjonction, d’un sujet d’actualité.
Récemment, on a également eu envie de faire un Atlas du sport qui a été publié au moment de la coupe du monde de football en juin dernier. Il y a aussi des atlas plus a-temporels, par exemple l’Atlas des transports qui paraît début octobre 2010, ou encore l’Atlas de la Révolution Française. Ce sont des sujets qui sont nécessaires dans notre collection (qui compte 70 atlas aujourd’hui) pour que les atlas fassent référence. On publie entre 10 et 15 atlas par an, en comptant les rééditions d’atlas déjà parus. Ces dernières peuvent être soit une actualisation (avec une nouvelle couverture et un cahier supplémentaire) soit une édition revue et augmentée quand l’approche du thème est modifiée.
Comment se déroule la collaboration entre l’auteur de l’atlas et le cartographe ?
Au début, c’est nous qui allions chercher des auteurs (dans les années 2003/2004), aujourd’hui, ce sont les auteurs eux-mêmes qui nous proposent des thèmes car ils connaissent les atlas et ont envie de s’adresser à un plus large public. Dans la mesure du possible, nous essayons d’avoir des auteurs géographes ou historiens, mais parfois aussi d’autres disciplines, pour les questions géopolitiques notamment. Par exemple, ce sont les étudiants latino-américains de Sciences-Po Poitiers qui ont conçu l’Atlas de l’Amérique latine (documentation, recherche, synopsis) sous la direction de leur professeur, Olivier Dabène.
On fait toujours appel à un cartographe. Plusieurs discussions à trois entre l’éditeur, l’auteur et le cartographe sont nécessaires pour concevoir un atlas. En tant qu’éditeur, on vérifie la pertinence des propositions. L’auteur apporte les données et la documentation au cartographe qui réagit à la demande et réalise une carte à partir de laquelle on « calibre » le texte. On part d’abord des cartes. Le cartographe a un rôle de création cartographique, ce n’est pas simplement l’exécutant de l’auteur.
Comment a évolué la collection depuis son lancement ?
Ces deux dernières années, on a été « très géographique ». L’évolution la plus importante, c’est la création de la collection « mégapoles » car les villes sont un sujet phare pour Autrement. Henry Dougier s’est toujours beaucoup intéressé aux villes, on a une collection historique sur les villes et on a eu des guides touristiques sur les villes. Dans les Atlas, on trouvait intéressant de traiter une ville sous l’angle multiscalaire, montrer comment la mégapole se construit, avec quelles ressources économiques, etc. Nous avons trois atlas (New York, Shanghaï, Moscou) et nous préparons un atlas sur Mexico qui sortira au printemps 2011. Outre les cartes, nous faisons appel à un reportage photographique, ce qui est l’originalité de cette nouvelle collection. D’autre part, on se lance dans les atlas régionaux (en France). On a fait un Atlas de la Basse- Normandie, on est en train de préparer un Atlas de la Bretagne (avec le CRDP, centre régional de documentation pédagogique de Rennes).
On a aussi fait évoluer la collection graphiquement. La maquette est toujours la même mais renouvelle la typographie. Enfin, on s’intéresse de plus en plus aux sujets de géographie culturelle parce qu’elle permet de toucher un public plus large que les étudiants et les enseignants.
Quelles sont les perspectives actuelles de la collection des atlas ?
La géographie culturelle et la refonte de certains sujets (comme l’énergie, le réchauffement climatique). Nous avons aussi maintenant des partenariats. Le bilan planète du Monde avait l’an dernier un CD-rom que nous avons réalisé. Il était notamment destiné aux enseignants et portait sur le développement durable qui est maintenant dans les programmes du secondaire. Le prochain CD-rom (en novembre 2010) sera consacré à l’urbanisation et aux grandes villes.
Libération a également un partenariat avec nous. Toutes les semaines, dans le magazine du samedi, une carte extraite des atlas est commentée par l’auteur. Ce sont Le Monde et Libération qui sont venus nous chercher. Cela montre que « la carte ne fait plus peur ». Nous sommes dans une ère du visuel ; la carte est un document didactique, riche, qui a une valeur en soi.